Révélés par ses albums chez Mush Records, les gens de Curse ov Dialect ne sont pas sortis de nulle part. Il existe chez eux, en Australie, d'autres hurluberlus qui cultivent le même rap fourre-tout. Adeptes d’un live hip-hop éclectique et hautement politique, les membres de The Herd sont les plus visibles et les plus actifs de cette scène. Ils en sont même plus ou moins l’origine, gérant depuis près de dix ans un label, Elefant Tracks, parmi les plus intrigants de l'hémisphère sud, et dont la présente compilation, quoiqu'inégale, offre un aperçu engageant.

COMPILATION - Trampled: The Elefant Traks Remix Album

La parenté avec Curse ov Dialect s'affirme rapidement sur cette série de dix-huit titres, où tout un tas de gens issus de la scène australienne (The Herd, Hermitude, TZU, Combat Wombat, Tongue, Plutonic Lab, etc.) s’amusent à se remixer les uns les autres. Attendue sur la première plage (le "No Disclaimers" de The Herd), puisqu’elle est remixée par les auteurs de Wooden Tongues, cette similitude s’affirme également sur les autres. S’y retrouve la même explosion de styles et de genres : dub sur le soyeux "Music from the Mind" et sur "Corruption Dub", jazz crépusculaire sur "Ray of Sun", trip hop sur "The Locust", joli R&B classieux sur "Can’t Breathe", nappes sur "The Last Chance", électronique dérangée sur le remix de "I Was Only 19" par Tunng (le seul non-Australien présent ici), world music sur le très bon instrumental "Nightfall’s Messenger". Sans oublier ces nombreux beats joyeusement déglingués à base d’accordéons, de violons et de trompettes, à mi-chemin entre la fanfare balkanique, le jazz manouche et la musique de cirque, qui font de cette scène des antipodes l’homologue rap du rock de Beirut.

Autre point commun avec Curse ov Dialect, ces raps foisonnants dévoilent des paroles bien moins légères que la musique, souvent très entraînante, ne le laisse paraître. C'est le cas par exemple de ce "Recoil" qui détourne l’hymne australien pour mieux contester la politique du pays. Et dans ce registre, le titre qui se distingue le mieux est le dernier, "I Was Only 19". Pas celui cité plus haut, que Tunng a plus gâté qu’autre chose avec son vocoder et ses samples de croassements, mais plutôt l’original, le morceau étendard du groupe, celui qu’il a réenregistré avec le protest singer John Schumann. Certes, les paroles anti-guerre du titre cadrent mal avec ses airs de chant de marin entonné au large de l’Irlande avec Shane MacGowan. Cela surprend. Mais ce genre d’alliance contre-nature, c’est aussi la grande force de ces Australiens. Ils prouvent ainsi qu’on peut faire du rap engagé autrement qu’avec componction, qu'en se la jouant spoken word ou qu'en s’exprimant sur des beats lourds. Ils montrent qu’il y a encore un endroit, fût-il à l’autre bout de la Terre, où des gens réinventent avec talent le rap politique.

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PS : merci à Umbre pour tous ses bons conseils en matière de hip-hop australien

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