Le EP South Bay Blues, qui a accompagné en 2004 un recueil de poèmes sorti par Pigeon John, est l'œuvre la plus belle et la plus sobre de l'ancien membre du collectif LA Symphony, par ailleurs un habitué du Good Life Café. Il ne comportait que huit titres, mais huit titres splendides, tous dignes de "What Is Love?!" et de "Emily", les meilleurs moments du dernier album, Pigeon John Is Dating Your Sister.
Faute de publicité, malheureusement, le disque s'est montré plus accessible en MP3 pirate sur Internet qu'ailleurs. Il a donc fallu attendre la sortie un an après de Pigeon John Sings The Blues (le dernier album du rappeur métis chez Basement Records, avant de passer chez Quannum Projects), pour que réapparaissent ces bijoux sous une autre forme.
Pigeon John chante le blues, nous révèle donc la pochette délicieusement rétro de ce disque. Il se lance aussi dans les grands thèmes, les diverses formes de l'amour ("Nothing Without You"), l'insignifiance de l'homme ("Matter 101") et tout ça. Mais, bien sûr, il traite de tout cela avec le ton badin et la dose d'humour déjà à l'œuvre sur ses albums d'avant.
Ainsi sur "She Cooks Me Oatmeal", quand l'amoureux transi se montre mû par des motivations terre-à-terre :
You cook me oatmeal, you make me breakfast
And I miss you, 'cause I'm hungry
Tu me cuisinais des flocons d'avoir, tu faisais mon petit-déjeuner
Et tu me manques, parce que j'ai faim
Ainsi encore sur un tout autre morceau, "Upside Down Rotten", quand il modère ses propos de fêtard repenti :
I used to drink Bacardi and go to strip clubs,
And I still want to go to strip clubs
Je buvais du Bacardi, j'allais aux clubs de striptease
Et je veux toujours aller aux clubs de striptease
Tour à tour, Jean le Pigeon se livre ou il plaisante. Et il n'hésite pas à arpenter les chemins de traverse du hip-hop. Il rappe et chante alternativement, avec un naturel tel qu'il n'est plus besoin de noter quand il passe d'un registre à l'autre. Ses titres sont presque tous enjoués ou mélodiques, et il n'hésite pas à recourir à la guitare acoustique, voire aux cordes d'une valse sur le classieux "The Grand Oli Waltz".
Pigeon John détourne le rap, il en fait son truc. Et comme il le précise sur "Matter 101", il se fiche bien des réactions :
I don't care if the hip-hop heads turn away
and say Pigeon John has turned gay
Je m'en fiche si les fans de hip-hop se détournent
Et qu'ils disent que Pigeon John est devenu gay
Enfin, il s'en fiche... Pas tout à fait, car South Bay Blues n'est pas ressorti dans sa sobriété originelle. Soucieux de proposer un disque plus produit, le rappeur a enrichi les instrumentations et ajouté des inédits. Malheureusement ces ajouts ne sont pas tous nécessaires. "You Can't Have It!", par exemple, se retrouve affublé d'une percussion irritante et superflue. Et quelques morceaux issus de l'album précédent ("Emily", "Identity Crisis" et un "Life Goes On" renforcé par Abstract Rude) sont maltraités par des remixes sans imagination.
Les purs inédits, en revanche, sont plutôt bons. Ainsi ce "Sleeping Giants" avec Eligh et The Grouch, où il est question de la difficile course vers le succès, ou ces "Rainy Day" et "Draw Me Closer" à l'ambiance crépusculaire, très trip hop.
Le seul hic, c'est que ces nouveaux titres s'articulent mal avec ceux d'avant. Ils sont d'un autre genre, d'une autre coloration, et ils gâtent un peu la fraîcheur originelle de South Bay Blues. Même si, avec une telle base, Pigeon John Sings The Blues ne pouvait pas être autre chose qu'un bon album.