Si vous croyez avoir fait le tour complet de ce lieu commun rap qu’est le diss track, cet exercice de style qui consiste à dire le plus de mal possible de son voisin, c’est que vous n’avez pas encore découvert Greek. Le rappeur le plus bilieux jamais rencontré sur cette planète, membre du quintet Jam Faction, auteur des recommandables The Preferred Remedy et 9 Steps to Scott Baio Fame, consacre presque tout son Smell my Talent à t’expliquer combien tu le débectes. Ne conjuguant ses verbes qu’à la deuxième personne, pour que tu saches bien que c’est toi l’objet de sa haine, il s’en prend avant tout aux mauvais MCs qui n’arriveront jamais à vendre de disques. Mais il méprise aussi le trip hop ("Still Clingin’"), le débat entre rap classique et abstrait, sa compagne, sa vie d’homme mûr et rangé ("Mid-Life Crisis") et d'autres choses encore. On ne peut pas rivaliser avec Greek au grand jeu du crachat de venin. Les rares invités, comme Random des Slug Crumbs sur le soûlant "Pigs", ne soutiennent d’ailleurs pas la comparaison.
Le rappeur s’est calmé pourtant, contrairement à ce que suggère cette pochette répugnante. Ses paroles sont plus fielleuses que jamais, mais il a bridé son flow et il ne traverse quasiment plus de phases d’hystérie. Et puis les beats aussi ont évolué, même s'ils se résument toujours à des boucles principalement fonctionnelles, s'ils sont complètement soumis aux agressions de Jimmy Greek, s'ils sont plus que jamais esclaves de cet égo-trip en creux qui occupe tout le disque. Plus ils sont emphatiques et forcés, plus ils marchent, plus ils collent aux paroles outrancières et haineuses du rappeur, comme avec les cuivres de "Break You", l’électronique de "Mark Wahlberg’s Chest", les chœurs et le rock de "Abyss" et l’instru façon film d'épouvante de "Die by the Musket". Cependant, produits par Carl Kavorkian et Jack Horner plutôt que par l’habituel Rummage (tous ces gens étant membres de Jam Faction), les sons s’avèrent moins mémorables que sur les deux précédents albums. Même si le talent de Greek lui-même, dont nous découvrons ici bien plus que l’odeur, demeure quant à lui plus que jamais incontestable.