Quel barouf, quel tintamarre ! Ca y est, cette fois, Danger Mouse a décroché la timbale. Prendre en charge le nouveau Gorillaz, c’était déjà bien, inespéré même quand on revient en arrière, à l’époque de Ghetto Pop Life. Mais cette fois, ça dépasse tout. Promotion d’enfer, succès commercial et critique, couverture et affiche partout, et un titre, "Crazy", consacré tube de ce début d’année. Un ramdam impensable et totalement disproportionné, un truc de fou. Pourtant, il y a quand même un bon point dans toute cette histoire. C’est que par ce biais, Cee-Lo bénéficie d’une meilleure exposition. C’est un peu délirant, ça ne tourne pas très rond, on marche sur la tête. Dans un monde parfait, ce serait pour l’ancien Goodie Mob que les gens se seraient penchés sur cet album, et pas pour l’autre tâcheron. Mais voilà, l’histoire des musiques populaires est une gigantesque loterie et le monde est profondément injuste. Je me le dis chaque jour, chaque fois qu’au hasard de mes pérégrinations sur MySpace.com, je découvre dix artistes supérieurs à ces beatmakers emblématiques du rap indé que sont devenus, par capital relationnel, par opportunisme ou par chance, des gens comme Danger Mouse ou RJD2.

GNARLS BARKLEY - St. Elsewhere

Donc, il y a "Crazy". Et ce titre est irréprochable. C’est une tuerie, une chanson belle comme de la soul d’autrefois, un standard déjà, repris à droite et à gauche, par Ray LaMontagne par exemple. Un tube, sans erreur et sans injustice. Mais ce morceau n’est pas tout : la première partie de l’album est parsemée avec bonheur de titres pop/soul/rap d’un niveau très approchant, voire supérieur. Reprise des Violent Femmes, "Gone Daddy Gone" est un exercice rock entraînant comme tout. L’introductif gospel endiablé et à trompette de "Go Go Gadget Gospel", "Smiley Faces" et la complainte soul de "St. Elsewhere" sont aussi des titres remarquables. Enfin au cœur de l’album, il y a le très fort "Just a Thought" et ces confessions suicidaires qui ont le bon goût de se clore sur un "but I’m fine" teinté d’autodérision.

Mais à bien écouter les percussions et la guitare classique qui accompagnent ce titre, il semble évident que l’essentiel est porté par le seul Cee-Lo Green, par son chant, par sa voix. Le reste n’est que parasite, ou peu s’en faut. Ce n’est pas de la mauvaise foi, ce n’est pas pour s’acharner outre mesure sur Danger Mouse. Il ne le mérite pas, il n’est pas nul. Il a même un fort, en dehors de son ouverture d’esprit : c’est cette propension à faire du hip-hop ludique, cette capacité à ajouter un poil de fun à un genre qui s’est parfois pris au sérieux. Mais cette qualité est aussi son problème. Ses sons aboutissent plus souvent à des curiosités vaguement bouge-popotin qu’à des titres durables, à l’image de l’orgue de film d’horreur de "The Boogie Monster" ou de l’instrumentation grime/jungle de "Transformer". Et quand il sort la grande artillerie, par exemple sur "Storm Coming", ce n’est pas beaucoup plus impressionnant.

Mais trêve de débats sur le talent de Danger Mouse et sur cette collaboration épisodique avec Cee-Lo. Laissons-le partir vers ses nouvelles aventures avec The Rapture, et après, qui sait, avec Kool Keith, Devandra Banhart, Henri Salvador ou n'importe qui d’autre. Cette fois, comme souvent, comme toujours, le succès n’est venu ni de la bonne personne, ni du bon disque. Il n'y a plus qu'à espérer qu’avec tout ce foin, des gens issus plus ou moins du grand public auront la curiosité de se pencher sur les albums de Cee-Lo en solo ou avec Goodie Mob. Pour cela, et pour ses quatre ou cinq grands moments, St. Elsewhere n'aura pas été un album pour rien.

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