"Astronautalis est un rappeur qui chante à l'occasion, pas un chanteur qui s'essaye au rap", à la Beck, affirme une critique très pertinente du All Music Guide. La nuance est subtile, mais elle est capitale. Elle explique pourquoi la musique du Floridien est si singulière. Dans cette interview, Andy Bothwell nous détaille comment un blanc-bec adepte de battle rap a changé un jour de formule pour sortir au final l’un des albums les plus remarquables de cette année.
Je n’ai pas été en mesure de trouver énormément d’éléments sur toi pour préparer cette interview. Peux-tu nous faire une petite autobiographie ?
Je suis le fils d’un employé des chemins de fer et d’une artiste, né dans le Sud et élevé à la country, au folk et à la soul sudiste. Mon grand frère a été DJ hip-hop et c’est lui qui m’a fait entrer dans le rap quand j’avais 12 ans grâce à une cassette, avec Lord Finesse: Return of the Funky Man sur la première face, et Guru’s Jazzmatazz: Volume One sur l’autre. Ca a tout de suite placé la barre assez haut, une barre définie en partie par MC Solaar ! Après avoir découvert son titre sur Jazzmatazz, j’ai cherché pendant des semaines un exemplaire de Prose Combat… Quand je l’ai trouvé, j’ai adoré !
C’était vraiment un âge d’or pour le rap en termes de créativité et d’ouverture d’esprit. Ce n’est pas une coïncidence si le rap de l’époque a attiré autant de petits blancs comme moi, qui écoutaient plutôt de l’indie rock et du punk. A partir de cette époque, j’ai décidé que je serais un rappeur… J’ai commencé à faire des freestyles tous les soirs pendant que je promenais mon chien et je me suis lancé dans des battles à l’école à l’heure du déjeuner. C’est devenu un hobby à plein temps, mais c’est quand j’ai entendu pour la première fois des gens comme ceux d’Anticon que j’ai vraiment eu le courage de me faire une musique qui soit vraiment représentative de ma personnalité… Plutôt que de singer bêtement la scène hip-hop hardcore de New York. Pendant que j’écoutais Mobb Deep et Diggin’ in the Crates, tous mes potes étaient dans l’indie et le punk et ils écoutaient Neutral Milk Hotel et les Halo Benders… Après avoir entendu les morceaux de Dose One, Josh Martinez et Aesop Rock, j’ai vraiment réalisé que je pouvais faire ce que je voulais vraiment. Ça ne paraissait plus si difficile de lier ces deux pôles opposés de ma vie. Je sais que ça semble peu de chose…
Mais pour qui fait de la musique (ou n’importe quel autre art), avoir ce courage, ça demande une grande rupture. Il faut une révélation pour te libérer de l’imitation et te mettre à créer. Maintenant, je dois me battre contre un monstre tous les jours. Je ne fais plus que travailler sur ma musique. Quand je ne suis ni en tournée ni en concert (je le suis 8 mois dans l’année), j’enregistre… Mes meilleurs trucs, je les fais quand je suis en lambeaux.
Tu as commencé comme battle MC. Où peut-on trouver un disque avec tes raps dessus ?
Il y a quelques extraits et des bootlegs de mes battles qui circulent… Je continue à faire des freestyles dans mes concerts, il y en a donc tout un tas de disponibles.
Quand as-tu abandonné les battles pour ce genre de chansons que tu proposes maintenant ?
J’aimerai toujours les MC battles. C’est dans mon sang et jamais je ne pourrai couper mes racines. Mais j’ai fini par réaliser que j’avais atteint mes limites en battling et je n’avais plus le cœur à ça. Quand j’ai commencé les battles sérieusement, j’étais tout dévoué à leur côté sportif. Mais après, ce n’était plus que des histoires de prix et de reconnaissance, au détriment du côté artistique. Ce sont des motivations dangereuses. Pendant un moment, je me suis reposé sur mes lauriers, je gagnais des battles sans même y penser. Et puis j’ai commencé à perdre… C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que tout était fini pour moi… J’ai donc décidé de faire de la musique.
Qu’en est-il de Model Citizens ? C’est ton groupe ? Ils ont sorti quelque chose ?
Modelcitizens, c’est juste une vitrine que nous avons créée quand nous (moi-même, mon manager Harpoon Larry et mon DJ Rerog) avons décidé de laisser tomber nos vraies vies et de tenter d’être des musiciens. C’était il y a trois ans et depuis c’est devenu ce que ça devait être : un label (pour quand nous devons sortir quelque chose par nos propres moyens), une boîte de management, une équipe de lanceurs de boules puantes, une bande de gars du Sud ivrognes. Pas un groupe… Seulement trois amis qui préfèrent dormir dans un van et faire le tour du monde plutôt que de mettre à nouveau un pied dans un "vrai" métier.
Il y a un titre intitulé "Oceanwalk" sur ton premier album et le second s’intitule Mighty Ocean… Apparemment, l’océan a une signification particulière pour toi. D’où ça vient ?
J’ai passé une grande partie de ma vie au bord de l’Océan Atlantique. Je suis originaire de Jacksonville Beach, une vilaine petite ville côtière triste au nord de la Floride. Cela n’a rien à voir avec la Floride que l'on imagine, celle de Miami South Beach. C’est un endroit sans intérêt. Cependant, il n’est pas possible d’y vivre sans se voir impacté fortement par l’océan. Quand j’étais gosse, je passais mes journées à surfer et à nager. La plage, c’est l’endroit où j’ai perdu ma virginité, où j’ai pris ma première cuite, où je venais mettre le bordel ou me cacher. Maintenant que je suis adulte, ça a toujours de l’importance pour moi, mais ça a pris un autre sens. C’est là où je vais pour penser et pour être seul, la plage est devenue ma confidente, alors qu’avant elle était ma complice. Je ne me sens pas bien quand la mer est loin, l’air salé reste imprégné sur ta peau jusqu’à la fin de ta vie. Tu ne peux pas t’en débarrasser.
J’ai lu, et j’ai fait moi-même, des comparaisons entre toi et Buck 65. J’imagine que ce genre de comparaisons, c’est toujours un peu frustrant. Comment réagis-tu ?
Faire des comparaisons, c’est naturel, les gens ont besoin de qualifier et de catégoriser tout ce qui se présente de nouveau, jusqu’à ce qu’ils deviennent tellement à l’aise avec qu’ils inventent une nouvelle catégorie propre. En ce moment même, j’écoute un album qu’Alias m’a passé pour que je lui dise ce que j’en pense, et je me surprends à faire des liens avec d’autres disques que j’ai pu écouter avant. J’essaie de ne pas le faire, j’aimerais juger un album sur son mérite propre, mais nous sommes tous les victimes de notre histoire, c’est assez inévitable. Ça ne me dérange pas d’être comparé à Buck, c’est un musicien talentueux qui m’a beaucoup influencé dans mes années de formation. Buck a été confronté aux mêmes reproches quand il a sorti ses disques les plus inventifs, ces grands disques seront toujours dans l’ombre de Tom Waits et de Woody Guthrie. J’espère qu’un jour ils pourront s’en émanciper. Nous avons tous nos influences, nous avons tous volé des choses à d’autres artistes (en particulier dans le hip-hop… notre musique est fondée sur le vol de samples). Mais il y a des gens qui m’ont beaucoup plus influencé que Buck et que je ne vois jamais apparaître dans les critiques. Et puis je m’en fiche un peu si les gens pensent que je ressemble à tel ou tel… Tant qu’ils aiment ce qu’ils entendent.
Bleubird, les Sol.iLLaquists of Sound, et maintenant toi : plusieurs artistes hip hop intéressants ont émergé de Floride récemment. Ces gens appartiennent-ils plus ou moins à la même scène?
Oui. Nous sommes tous amis et fans les uns des autres. C’est sympa de voir tous ces gens autour de toi gagner la reconnaissance qu’ils méritent. Et il y a d’autres gens très bien en provenance de Floride : Electric President (Morr Music), Skyrider (Endemik Records), Intelleckt (Arc the Finger). Electric President, c’est le groupe de Radical Face avec un de ses amis du nom d’Alex Kane... C’est de la très belle pop électronique. Skyrider est en train de finaliser son second album et de produire le prochain disque de Sole d’Anticon. Ils ont tous participé à mon dernier album. Intelleckt, c’est de l’indie hip-hop plus traditionnel, mais c’est solide. Pas le genre de musique que j’apprécie en temps normal, mais il y met beaucoup d’énergie, c’est indéniable.
A en juger par le packaging de Mighty Ocean…, par le temps que Radical Face et toi lui avez consacré et par son format de concept album, j’ai l’impression que tu as vraiment voulu faire de ce disque un jalon. J’ai raison ? As-tu le sentiment d’y être parvenu ?
Je pense. Le premier disque, c’est quelque chose que Radical Face et moi avons sorti de ma chambre en trois semaines, ce n’était que la compilation de mes morceaux du moment. Il y a des choses dont je suis très fier dessus, mais si on le considère comme un tout, il me déçoit. A posteriori, je me suis juré de ne plus jamais me précipiter ainsi. Tu parles d’un jalon comme si j’avais attendu de l’album qu’il soit le prochain OK Computer, mais mon intention, c’était juste de sortir quelque chose dont je sois fier d’un bout à l’autre. Du concept, à la réalisation et au packaging. J’ai voulu faire une œuvre, pas une suite de chansons. Et ça, ça prend du temps.
A propos de Radical Face, je crois qu’il sort son album chez Morr Music ces jours-ci. Tu seras dessus ?
Non. Ben ne travaille pas avec tant de gens que ça en matière de musique, et certainement pas sur ses albums solo. Et puis pour être honnête… Il est bien meilleur musicien que moi et je risquerais de tout mettre en l’air. J’ai écouté l’album et il est superbe. Le mot "jalon" devrait assez bien aller à cet album.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
J’ai rencontré Radical Face à 16 ans, nous avions beaucoup d’amis en commun, mais nous ne nous sommes pas officiellement rencontrés avant que je travaille au Pablo 9 Movie Theaters, un cinéma où je bossais avec quasiment tous mes amis et qui est mentionné dans le titre de mon dernier album.
Quels sont tes prochains projets ?
J’ai un split LP en projet chez les Allemands de Subversive Records. J’ai écrit une histoire en quatre chansons sur mon ancêtre, le Quatrième Comte de Bothwell et sur sa liaison malheureuse avec Marie la Reine d’Ecosse. C’est une histoire vraie, mais j’ai pris quelques libertés. La face B est signée par un vrai bon rappeur de Houston, Texas, du nom de Babel Fishh. Je n’ai pas encore entendu ce qu’il a fait pour ce disque, mais j’espère que ça parle du Texas. Il a une façon merveilleuse de résumer mon amour du Texas et les images que ça m’inspire avec humour et simplicité. J
’espère travailler avec d’autres types talentueux de ce genre si j’en trouve le temps. Je devrais aussi arriver à sortir un EP avec Alias d’Anticon. P.O.S. de Rhymesayers et moi avons aussi songé à nous rencontrer dans un motel à mi-chemin de nos villes respectives et de confronter nos chansons. J’envisage aussi d’enregistrer une poignée de chansons avec des gens de ce groupe génial, The Paperchase (Killrockstars). Je m’occupe avec autant de side projects que possible avant de me lancer dans un nouvel album. Le dernier m’a pris beaucoup d’énergie. Je ne suis pas sûr d’être prêt à recommencer.
Qu’en est-il des concerts ? Quel genre de public vient voir Astronautalis sur scène ?
Un joli mélange de tous les styles de vie, et c’est quelque chose que j’aime. J’ai fait pas mal de concerts punk alors j’ai des punks et des amateurs d’emo, comme je rappe il y a aussi des fans de hip-hop, il y a aussi des fans d’indie qui viennent et qui restent là les bras croisés, et des hippies qui dansent sur mes paroles, et puis assez souvent (plus souvent encore depuis l’an dernier), je vois apparaître leurs parents. Ca me plaît de voir des générations plus anciennes s’intéresser à ma musique. Je prête beaucoup d’attention à ce que mes parents pensent de ma musique. Et j’imagine que c’est vrai pour tout le monde. J’espère vraiment ne jamais me trouver affilié à une scène. Je préfère qu’on me définisse par mes chansons… plutôt que par ma coupe de cheveux.
A propos, as-tu des concerts planifiés tôt ou tard en Europe ?
Je pense pouvoir m’y rendre pour mars. Un très bon label italien du nom de Ghost s’intéresse à ma musique et ils veulent me faire venir chez eux. Je ne manquerai pas l’occasion d’un voyage gratuit. Je ferai en sorte que ce soit une invasion sur toute l’Europe.
Tu as un message pour clore cette interview ?
Je n’ai plus de linge propre… une fois encore.
Dis-nous Sylvain, tu as gagné un séjour en Floride ou quoi ?
On s'y croirait : 'Fake For Real, the Sunshine State's underground weblog'.