Les gens d'Aesthetics avaient besoin d’un rappeur pour varier les plaisirs et pour élargir leurs horizons. Et c’est à Miami, chez Algorithm, qu'ils sont allés le chercher. Devil’s Pawn, sorti en 2004, est le premier album de Seth P. Brundel sur le label de L’Altra, Windsor For The Derby, Pulseprogramming. Et, pour si éloigné qu’il soit de la tonalité générale de ces compagnons d’écurie, il tient fort bien la route.
Côté paroles, ceux qui connaissent Algorithm savent à quoi s’en tenir. Pour les autres, précisons juste que la référence à Cannibal Ox qui figure dans le dossier de presse n'a rien de saugrenu. Ou que la pochette avec rue glauque, chien et machettes donne une idée fidèle du contenu. Seth P. Brundel, en effet, explore un rap sombre, agressif et apocalyptique, parfois même obtus. Un rap éminemment politique aussi, comme le laisse entendre cette citation de Doc Faust, leur compère d’Algorithm, sur le morceau "1/2 Way There" :
We’re a Public Enemy with 2 Chuck D’s.
Nous sommes Public Enemy avec 2 Chuck D.
Brundel aime les histoires les plus noires. Sur "Insecurity", il décrit comment une erreur de numéro de téléphone aboutit à un crime passionnel. Sur "Blaze of Glory", il adopte la perspective d'un terroriste kamikaze. Et les beats, qu’il produit, sont à la hauteur des paroles : poisseux et oppressants.
L’instrument roi est la guitare, présente sous toutes ses formes (fuzz, acoustique, funk, etc.). Ailleurs, des sons distincts apparaissent, comme la nappe de "Ego Fuel", ou le synthétiseur qui accompagne le piano du très bon "Heroine". Mais ces instruments et ces timbres différents ont la même couleur, ils tendent vers le même but : en rajouter dans la noirceur, dans l’étouffement, dans la claustrophobie.
Et sur l'essentiel de l'album, cela fonctionne, de l’excellent "Devil’s Pawn" en passant par le suffocant "Beyond Murky Drapes" et jusqu’à "Self P", un finale en deux temps (instrumentation enlevée puis piano sobre et magnifique) où le rappeur donne dans un égo-trip la clé de son propos : la virulence qu’il affiche n’est que le corollaire de son honnêteté.