Deux ans après notre première interview fleuve en leur compagnie, les choses semblent avoir évolué dans le bon sens pour les deux frères Hanak : meilleure visibilité, sortie d'un premier album chez Planet Mu, critiques bienveillantes... Retour sur ce qui a changé ces derniers mois pour le duo.
On va commencer par une note positive. J'ai lu dans votre newsletter que votre album marchait plutôt bien.
JB : en France.
Oui. J'ai lu que c'était la meilleure vente de Planet Mu en France. Ca fait quoi ?
JB : ça surprend énormément en premier lieu. Mais après, tout est relatif. Il s'agit tout de même d'un label qui ne cartonne pas en France. Là où c'est gratifiant, c'est quand Mike Paradinas vient vers nous pour nous dire "je suis super content des échos que vous avez eus en France". Pour des petits gars comme nous qui viennent de nulle part, ça fait super plaisir de savoir qu'on a ouvert les portes à Planet Mu pour le marché français. C'était une question Emmanuel Chain, tu voulais parler de chiffres (rires) ?
Et à l'étranger ?
JB : on n'a pas encore les chiffres de vente à l'étranger. En fait, il y a un système de date anniversaire qui fait qu'un an après la signature, on fait les comptes sur toutes les ventes mondiales. La raison pour laquelle on connaît les ventes en France, c'est qu'on est en contact avec le distributeur français.
Bon. Parlons d'autre chose que des ventes. Vous avez eu du feedback positif en matière de critiques à l'étranger ?
JB : il y a eu une avalanche de chroniques. J'ai dû repérer une chronique négative.
Fred : on en a eu plus que ça, des négatives. Il y a des chroniques en demi-teinte aussi. Je me souviens de chroniques en Espagne, ou en Italie... En même temps, ce ne sont que des chroniques. Il y en a partout. Ce sont des gens des webzines, des fanzines, des magazines, tout ça ne veut rien dire. Mais globalement on est quand même assez contents des retours.
JB : l'accueil de notre disque à l'étranger est complètement différent de l'accueil en France. En France, on a eu de la chance, le terrain a bien été préparé avant la sortie de l'album. Le nom dDamage a fait vendre le disque. Alors qu'à l'étranger, il faut avoir les yeux en face des trous, c'est à 90% le label Planet Mu, par son image, qui a fait vendre notre disque. dDamage c'est juste un petit peu connu en Allemagne et en Angleterre. Et au Japon parce qu'on y a sorti un disque.
Fred : et encore... A un niveau vraiment indé.
JB : quand on a fait un concert à Bruxelles, on a vu des types arriver et nous dire "super, on a vu des magasins avec votre disque en devanture". C'est plus lié au fait d'être chez Planet Mu qu'autre chose. On est complètement inconnus en Belgique.
Pourtant vous tournez pas mal.
JB : on tourne de plus en plus, oui.
A l'étranger notamment.
JB : oui. On a une tournée anglaise. En ce moment il y a une tournée au Québec qui est en train de se monter. Notre tourneur est en train de préparer des dates pour l'Europe Centrale. Jusqu'en Ukraine. Ca marche plutôt bien au niveau concerts. C'est lié au fait que les tourneurs français s'intéressent de plus en plus à nous. Mais comme je te disais, si on arrive dans ces pays là, c'est parce qu'on est un groupe Planet Mu. Sur les affiches, je ne suis pas certain de retrouver le nom dDamage en gros.
Fred : ils écoutent pas mal de musique les gens en Ukraine et dans ces pays là.
JB : on a même des retours de magazines slovaques.
Fred : notre père est slovaque. Hanak c'est le nom d'une ville en Slovaquie en fait. Il était super fier. Il l'a gardée, la chronique. Je ne sais même pas si celui qui a rédigé la chronique a réalisé que notre nom était slovaque.
Parlons du disque en lui-même. Dans l'interview qu'on avait faite, vous vous en preniez aux types qui ne faisaient pas l'effort d'écouter votre disque précédent de façon approfondie, en laissant entendre que c'était un disque qui se mérite. Mais cette fois, j'ai été surpris, par rapport aux albums précédents, je trouve votre nouveau disque super catchy.
(silence)
Fred : je ne m'attendais pas à ça.
JB : je pense que c'est un compliment. Je le prends comme ça. Mais ce n'est pas vrai de tout le monde. Certains ont eu du mal avec ce disque.
Ils avaient écouté les albums précédents ?
Fred : on a eu des gens qui ne connaissaient rien aux albums précédents. Certains ont même écrit "le premier album de dDamage".
JB : oui, forcément, si tu compares, tu peux même nous trouver super accessibles par rapport à Merzbow.
Fred : c'est une question d'auditeur. Je peux la renvoyer à toi cette question. C'est personnel. Toi, tu connais l'histoire du groupe, ça donne une analyse particulière. Mais je t'assure que beaucoup de gens ne l'ont pas pris comme un disque catchy. Ils l'ont pris aussi comme un disque qui se mérite.
JB : c'est peut-être vrai que comparé à nos précédents albums, c'est celui où il est le plus facile de rentrer.
Le premier morceau en particulier, il fait tout de suite son effet.
Fred : oui mais "Pressure" c'est notre clip, notre single. En Angleterre, les gens dansent dessus. En France, c'est différent, les gens ne dansent pas trop sur la musique électronique, sauf quand ça vire vers la techno.
JB : on a vu des petits b-boys de 14 ans faire du break.
Fred : les gens dansaient comme des tarés. Forcément, on s'est dit que ce morceau-là serait le single.
JB : je trouve que le premier de Harsh et le premier de Radio Ape sont très comparables.
Fred : celui de Harsh, tu te le prends aussi dans la tête, mais il est lourd. Tu ne vas pas aller danser dessus. D'ailleurs, le type du label ne voulait pas le mettre. Il n'était pas habitué au rythmiques proches du hip-hop, ça lui faisait super peur. Paradinas, c'est pas pareil.
JB : je me souviens d'ailleurs que Paradinas nous a dit "il n'y a aucun morceau catchy sur cet album". Il a employé strictement le même mot que toi.
Fred : tu vois, tout est relatif. On a un pro de la musique qui a fait des trucs avec Björk et tout ça, et lui ne trouve pas de morceau catchy.
Puisqu'on parle de Paradinas, a-t-il été directif ?
Fred : il a voulu être directif. Il nous a dit "ok, je sors votre album, mais j'ai fait des edits sur 4 morceaux".
JB : c'est-à-dire qu'il a retouché des morceaux. Vraiment.
C'est passé finalement.
Fred : non. Je ne les ai même pas écoutés ses morceaux.
JB : moi je les ai écoutés. Il m'a envoyé un FedEx avec les morceaux édités. J'ai écouté, j'ai eu mon frère au téléphone et je lui ai dit : "franchement, je ne reconnais pas nos morceaux, ils ont été bousillés". Ils n'étaient pas forcément mauvais, mais ce n'était pas du dDamage. Ca, on peut l'accepter sur un single, avec une mention comme quoi il s'agit de son mix. Mais là c'était l'album !
Fred : je n'avais pas envie que quelqu'un d'autre fasse de la musique pour moi. Il a voulu réduire l'album. S'il a fait des edits, c'était aussi pour le raccourcir. C'est vrai que l'album était un petit peu long. Avec JB, on a décidé tout de même de réduire l'album, mais avec nos propres edits, et de manière chirurgicale. Et on a vraiment fait des cuts à la dDamage. C'est nos morceaux. C'est nous. Après, on renvoie l'album à Paradinas. Pas de nouvelle pendant deux semaines alors que le CD devait aller en usine. A ce moment là, plusieurs personnes nous ont reproché de ne pas l'avoir laissé faire : "quand même, c'est Paradinas, il sait ce qu'il fait". On commençait à se dire qu'il l'avait mal pris. Et puis un matin il m'appelle : "salut, c'est Mike Paradinas". D'habitude, il n'appelle jamais, on communique par emails. Et là il me dit : "j'ai reçu vos edits". Ca a été sa première phrase. Il continue : "j'ai été un peu perplexe". Avec une forme d'humour britannique...
JB : perplexe... En fait il était super vexé.
Fred : non, il était hyper flegmatique. Après il me dit : "j'ai écouté votre album, c'est bon, il sort comme ça". Et il rajoute : "qu'est-ce que vous n'avez pas aimé dans mes edits ?". Je ne les avais même pas écoutés ses edits. Je lui réponds : "c'est juste que tu as retouché nos morceaux". Après, on n'en a plus reparlé. Maintenant, on sort un EP, il est ok, il est hors de question de retoucher les morceaux.
Depuis tout est rentré dans l'ordre ?
JB : on ne s'est jamais vraiment embrouillés. Ca a juste un peu coincé quand il a dit à mon frère : "tu sais, je retouche les albums de quasiment tous mes artistes".
Son label est très axé sur sa personne il faut dire.
Fred : grave.
A la limite ce n'était pas surprenant.
Fred : ce n'est pas surprenant. Mais tu acceptes ou tu n'acceptes pas. On connaît quelqu'un qui lui a envoyé un album en MP3. Moi je n'aimerais pas faire ça. On utilise beaucoup d'instruments analogiques, des synthés Moog, on y tient vraiment, on veut ce son.
JB : quoiqu'on en dise, le MP3, ça fait une différence.
Fred : on ne fait pas que de l'électronique. Il y a des gens qui ne s'en aperçoivent pas vraiment, mais il y a beaucoup de guitare sur cet album. Jouée par mon frère et reséquencée. On ne veut pas que ce son là soit numérisé.
JB : à cause de problèmes de timing, on a déjà envoyé un morceau en MP3 à un label. C'est le remix de S-Express qu'on a fait pour VVM, un label anglais qui fait du bootlegging. Quand j'ai écouté le disque je l'ai trouvé, pffff, un peu crado, un peu poisseux.
Fred : tous leurs morceaux sont crades. C'est un label trash.
Vous attendez cette question, vous n'allez pas y couper : le fait de traîner pas mal avec TTC et compagnie vous a amené un public rap assez conséquent ?
JB : oui.
Et ça se passe comment avec ce public rap ?
JB : bien. Je suis super heureux de faire des concerts devant des gars qui, à première vue, n'auraient pas dû être intéressés par notre musique. Comme ça, ils s'aperçoivent qu'il existe des groupes électroniques qui sont susceptibles de leur plaire. On a fait une première partie pour Tes à Paris. Une bonne partie du public est venu pour lui, et à la fin, au stand où on vendait notre disque, des gens sont venus pour nous demander : "ouais, c'est quoi les albums de dDamage ?".
Fred : il y a des gens qui sont venus du rap vers nous par Internet, avec la collaboration avec TTC, mais aussi par le biais des concerts.
Enfin, Tes, quand même, à la base, c'est déjà un public hip-hop particulier...
Fred : oui. Mais au Printemps de Bourges, on était avec d'autres gens de Lex, Danger Mouse par exemple. C'était la tournée avec Prince Po. Et beaucoup de spectateurs avaient un profil très rap quand même. Ils venaient voir Prince Po et du Organized Konfusion version 90.
JB : on a fait un concert très electro et les gens ont apprécié.
Fred : ça se rapprochait quand même du hip-hop, il y avait des rythmiques.
JB : oui, mais on ne s'est jamais dit : "bon ce soir ce sont des fans de hip-hop donc il va falloir axer le concert sur le hip-hop". On est fier d'avoir attiré un certain public hip-hop je te l'accorde. Mais on reste fidèle à nous-même.
Fred : "on reste fidèles à nous-mêmes". Ouah l'autre, quelle accroche ! (rires). Ceci dit, c'est vrai que ce n'est pas n'importe quel fan de hip-hop qui écoute dDamage. J'ai des potes qui sont à fond sur Booba, ou sur Mobb Deep. Ils n'aiment pas ce que je fais. Ils n'aiment pas dDamage. A part certaines rythmiques de base.
Et les fans plutôt Planet Mu et compagnie, ils viennent aussi ? Ils se mélangent aux autres.
Fred : je ne fais pas trop gaffe. Viens qui veut. Hier j'étais à un concert et je voyais un mec de 45 balais qui dansait. C'est cool. Du moment où il y a des gens qui viennent. On n'est pas arrivés à un stade où on se retrouve avec un public type. Ce n'est pas le concert des Neptunes.
(long aparté décousu sur les Neptunes)
JB : notre public n'est pas encore défini. Tu vois, le mois prochain, on va jouer à l'hippodrome d'Evreux, devant peut-être 2000 personnes ! Est-ce que tu crois que ce sera 2000 personnes qui viendront pour dDamage ? (rires)
Fred : en Angleterre on a rencontré un public particulier. Des gens avec une culture hip-hop très forte. On s'est découverts beaucoup de liens et ça s'est fait très naturellement sur scène.
Au UK, les gens ont un autre rapport à la musique.
Fred : clair. En Angleterre les gens dansent ultra facilement. Ils dansent comme des tarés.
Que deviennent vos projets solo ? J'ai cru voir qu'il y avait un emploi du temps chargé pour vous en sorties.
Fred : oui, mais il a bien changé entre-temps.
JB : pour l'instant, tous nos projets solo sont en stand by. On se concentre sur dDamage.
Fred : les morceaux que j'avais commencés en tant que RudDe et ceux de JB sous le nom de Boulder dDash ont été récupérés pour faire du dDamage.
JB : attention, on ne reprend pas les morceaux tels quels.
Fred : on retravaille tout, on en fait du dDamage.
C'est parce que dDamage est plus connu et plus porteur que vos projets solo ?
JB : ce n'est pas que ça. C'est aussi qu'on tourne comme des dingues. C'est fini la période où on avait le temps de mener 50 projets solo à côté et de faire de la musique 24H/24.
Tout à l'heure, off interview, JB a tiqué sur ma chro, parce que j'écrivais que dDamage était devenu le groupe electro attitré de TTC.
Fred : ça veut rien dire. Et Para One, et Tacteel, ils sont quoi alors ?
JB : notre collaboration était ponctuelle, même si on n'exclut pas de recommencer.
J'ai tout de même l'impression que Fuck-a-Loop a un background electro plus récent que vous. Ils sont plus rap à la base que vous.
Fred : je n'en sais rien.
JB : on ne sait plus. Des fois, tu lis des interviews de Para One où il te dit qu'il ne se reconnaît pas dans le hip-hop. Mais quand tu discutes avec lui, tu vois que c'est un super fan de hip-hop. Revendiquer le hip-hop, qu'est-ce que c'est ? C'est tellement flou. Même avec nous. On ne fait pas de hip-hop mais on s'en revendique à mort. Tu ne crois pas que ce serait un peu bizarre pour nous de sortir le "Trop Singe EP 2", et de sortir un album de rap avec 5 morceaux featuring TTC ? Non. On va continuer à travailler ensemble, mais on ne veut pas être "le groupe electro attitré de TTC". Et eux n'ont pas besoin de nous.
Fred : ils n'ont pas de groupe attitré. Ils travaillent avec plein de gens.
Il y a tout de même une petite famille (je montre une affiche derrière moi sur la dernière compile Tsunami Addiction).
Fred : oui, c'est des gens qu'on aime bien. Mais on n'aime pas tout ce qu'ils font (long commentaire détaillé sur les travaux de chaque artiste). Il y a même des trucs que je trouve pourris. Si c'était moi qui avais dû faire cette compilation, je n'aurais pas du tout fait cette tracklist.
Nous arrivons à la fin. Vous voulez parler hip-hop ?
Fred : alors, là j'ai quoi dans mon sac : Brand Nubian - One For All, Dizzee Rascal - des bootlegs. J'ai du Kraftwerk.
JB : je suis retombé par hasard sur des morceaux de MC 900 ft. Jesus. Il y a des trucs assez mauvais, mais si tu cherches bien il y a quelques petites perles. Il y a un titre qui s'appelle "If I Only Had A Brain" qui date d'il y a dix ou douze ans qui est complètement hallucinant. C'est une sorte de rap électronique avec un vocoder, où il chante avec une voix un peu nasillarde. C'est Dose One dix ans avant.
Fred : qu'est-ce que j'écoute d'autre en hip-hop ? Un remix de Kelis.
JB : je suis tombé sur un single de Mel B, ex Spice Girl, avec Missy Elliott, "I Want You Back". C'est sacrément mortel.
On en a un peu parlé tout à l'heure : qu'est-ce que ça vous fait d'avoir partagé la scène avec Prince Po ?
Fred : c'était mortel. Le premier album d'Organized Konfusion est tellement bon. Un morceau comme "Releasing Hypnotical Gases", laisse tomber...
JB : tu m'imagines, il y a dix ans, avec quelqu'un qui vient me dire : "dans dix ans, vous allez faire des concerts avec Prince Po ?".
Vous avez pu lui parler ?
JB : oui. Il était super étonné de tomber sur des fans d'Organized Konfusion. A notre grande déception, tout le monde se bat les couilles d'Organized Konfusion. Pour beaucoup de gens, Prince Po est juste un nouveau rappeur chez Lex. J'ai lu des commentaires de webzine comme ça : "Prince Po, nouveau rappeur électronique tout juste arrivé chez Lex qui ne nous a pas trop convaincu avec son digital hip-hop" (rires).
Tu sais, j'ai lu récemment dans un magazine une chronique sur Murs qui disait : "le rappeur Murs, dont le premier album est sorti chez Def Jux".
Fred : tu vois. Sans compter les gens qui prennent Prince Po pour Prince Paul. Sur un morceau il le précise : "this is Prince Po, not Prince Paul".
JB : on a discuté avec lui et il était hyper touché et enthousiaste de rencontrer des petits gogols comme nous qui lui parlaient de morceaux d'il y a dix ans. C'est vrai qu'on a des tas de gens qui se mettent à parler de Prince Po ou de Murs sans savoir qu'ils ont enregistré des tonnes de trucs auparavant. C'est dommage.
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