Les organisateurs des Transmusicales de Rennes sont des gens malins : il ne font démarrer leurs concerts qu'après minuit. Avant cela, s'il fait autre chose que traverser la France en bagnole ou en train, le public a tout loisir d'assister à quelques festivités off, de boire et de se droguer comme il convient, de poireauter dehors dans le froid pendant des heures ou de pratiquer l'ethnologie en observant des fraggles barbichus et piercés de tout poil se traîner ivres sur les trottoirs. Bref, dans tous les cas, l'attente incite tout le monde à entamer les choses sérieuses dans les meilleures dispositions.
C'est donc à une heure tardive, avec joie et avec soulagement, que la foule du Liberté Haut voit enfin apparaître sur scène La Caution et quelques compères Cautionneurs, en cette soirée de décembre 2001. A l'intéreieur, il fait chaud, l'audience bigarrée semble contente de sa présence et les rappeurs sont en forme. On a même droit à un DJ Fab inhabituellement survolté, en position d'être le Monsieur Loyal de ce spectacle. Tout va donc bien, même si l'espèce de long gymnase qui tient lieu de salle de concert n'a pas la dimension humaine d'un lieu parisien plus convivial comme, au hasard, le Batofar.
Le show de La Caution est l'exact contraire de celui de Def Jux qui aura lieu deux heures plus tard : sans détail marquant mais très bien. Les deux MC's et leurs comparses confirment haut la main leur réputation scénique, à coup de sauts, de mouvements bien sentis et de gestes fédérateurs (lève ton doigt entre l'index et l'annulaire), banals, sans grande nouveauté, mais toujours efficaces. Ce d'autant plus que la foule, moutonnière comme toutes les foules, approuve et s'exécute. Toujours comme il se doit, La Caution s'effacent quelques instants devant un comparse de label, James Delleck en l'occurence, qui vient interpréter "C'est qui ?". "C'est qui ?", quelques personnes autour de nous, apparemment malentendantes, se le demandent justement...
Tout cela est très bien, mais après tout ce temps passé sobres et debouts, l'heure est venue de fuir la chaleur moite, les odeurs de tabac et de fauve, et de profiter d'une retraite dans le Village. DJ Netik s'affolera donc sans nous sur ses platines, de même que les raveurs du dessous. Le temps de comprendre le système des tickets, de faire la queue à trois ou quatre reprises, de repousser les deux arsouilles venues faire les intéressants, de boire qui un café qui un coca, de remonter jusqu'au Liberté Haut et d'enjamber quelques corps étendus, alcoolisés ou enshités, et nous revoici prêts à accueillir nos idoles et nos stars : Aesop Rock et Cannibal Ox.
Le concert commence pourtant comme une arnaque. Un DJ, Cips de la Atoms Family, apparaît sous un projecteur, qui passe quelques disques de hip hop sans surprise, pendant que trois MC's prennent place, lentement, calmement. D'accord, super, chouette entrée en matière, mais ça s'éternise quand même sérieusement… Puis le concert démarre enfin, et là, seconde arnaque : Def Jux ré-invente le 2 en 1, et nous impose un concert commun d'Aesop Rock et et de Cannibal Ox. Nous aurons donc droit un spectacle chabadabada où se succèderont à la file titres de Labor Days et titres de The Cold Vein, sur lesquels les trois MC's viennent rapper indifféremment.
Troisième arnaque, Vordul ne bouge pas d'un pouce, sauf pour monter le micro a sa bouche quand vient le temps de rapper. Pendant près d'une heure, le MC va rester près des platines, fier et stoïque, menton levé, port altier et l'air ailleurs. Deux explications possibles : soit son kiné lui a recommandé de ménager sa clavicule, cassée six mois plus tôt, soit il s'agit d'un jeu de scène conceptuel top puissant dont nous n'avons toujours pas trouvé l'explication.
Pourtant massif et obèse, Vast Aire offre lui un spectacle nettement plus dynamique. Le géant remue, bouge, interagit avec la foule. Dommage juste que sa voix se casse à mi-concert. En fait, seuls Ciph à l'occasion d'un exercice de turntablism et Aesop Rock tout au long du concert, se distinguent vraiment. Animé comme un ressort, malin et rigolo comme tout, mimant ses raps et s'amusant à tourner autour de l'imperturbable Vordul, ce dernier est la véritable attraction de la soirée et focalise l'attention.
Malheureusement son répertoire, même limité ce soir à Labor Days (son seul album distribué en France), n'est pas connu du public. Et celui-ci, resté presque aussi stoïque que Vordul, se contente au mieux de la chorégraphie préférée des fans de rap : le hochement de tête approbateur. Seuls les fans transis rassemblés au premier rang réagissent vraiment au show. De fait, il faut attendre "Iron Galaxy", sans doute le titre le plus connu du répertoire Def Jux, pour voir enfin un frisson de plaisir s'emparer de l'audience et la salle commencer à faire des vagues. Mais voilà, cela ne survient qu'à la fin du concert et ne dure qu'un temps.
Le spectacle s'achève donc avec une impression mitigée. En fin de course, nous en retirons la même satisfaction qu'un fan des Rolling Stones venu les entrevoir dans un stade quelconque, alors qu'ils ne font plus que de la merde depuis 30 ans : tout juste satisfaits d'avoir vu nos idoles en chair et en os, tentant de nous convaincre que c'était génial alors que c'était juste "pas mal". Mais bref, il est temps de repartir. Tant pis pour les terroristes de Techno Animal qui viennent derrière, tant pis pour la montée sur scène de TTC et le strip tease torride de Tekilatex. Pour l'heure, au dodo, et à l'année prochaine.
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