Si la scène d’Halifax, ce trou perdu au fin fond du Canada, suscite aujourd’hui tant d’intérêt, au point d’être devenue la nouvelle Mecque du hip hop indépendant, Buck 65 y est pour beaucoup. De son arrivée dans la ville en 1989 à son affiliation au collectif 1200 Hobos de Mr Dibbs, l’activisme du personnage a largement contribué à l’avènement de ces artistes nichés en Nouvelle Ecosse. Fort de son rap affûté et presque parlé, de ses paroles entre poésie et ironie mordante, et de ses compositions étranges parsemées de scratches inventifs, l’homme est sans doute le plus éminent et le plus brillant représentant de la seconde vague du hip hop indé, celle qui dans la lignée de la galaxie Anticon a décomplexé un monde insoupçonné de rappeurs marginaux, en rupture avec l’imagerie black et ghetto du rap originel.
Ceux qui pensent Buck 65 né de la dernière pluie devront apprendre que l’activisme du rappeur commence dès son arrivée à Halifax à la fin des années 80 par l’animation d’une émission sur la radio universitaire locale, "The Basement", qui perdure de nos jours sous le nom de "The Treatment". Cette antenne est l’aire de lancement idéale qui lui permet de sortir en 1992 le EP Chin Music sous le nom de Stinkin' Rich, succès local après lequel il rejoint le petit label Murderrecords. Le MC et producteur sort donc ses premiers maxis, et se retrouve en 1996 sur son propre label, Metaforensics. En parallèle, il sort le 12’’ The Wildlife sur Hand Solo, un label de Toronto, entendu en apprécié jusque en Australie.
Buck 65 devient de plus en plus prolifique. En 1996, il se lie avec Sixtoo, un compatriote aux vues proches, avec qui il forme les Sebutones, le duo qui enregistrera la cassette Psoriasis, puis un 50/50 Where it Counts plus abouti, un disque aujourd’hui considéré comme le grand classique de la scène d'Halifax. En 1997, il sort une cassette Language Arts, qui avec Weirdo Magnet, compilation de ses premiers travaux, apparaît désormais comme la répétition générale avant les réussites à venir. Car le temps du succès critique approche pour Buck 65, Sixtoo et les autres. Et il passe par leur affiliation aux 1200 Hobos et à Anticon.
Dès 97, Buck 65 commence à fréquenter Sole des Live Poets, lequel vit alors dans le Maine, pas très loin de la Nouvelle Ecosse. Même si leur musique est distincte, les deux hommes partagent la même approche marginale du hip hop. Tout naturellement, Sole se souvient de Buck 65 le jour où il s’installe sur la Bay Area et fonde Anticon. En 1999, le label phare de la seconde vague indé sort le génial maxi The Centaur, extrait de Vertex, l’album à venir de Buck, lequel devient l’un des succès underground de 2000. Décrivant le parcours d’un homme au sexe énorme, prisonnier de son image, le MC offre avec ce single une brillante métaphore sur un hip hop lui-même engoncé dans ses clichés.
Fin 1999, Vertex, son troisième album solo, sort sur Metaforensics. Parallèlement à The Centaur, le disque connaît un succès critique considérable dans la presse alternative, rap et au-delà. De plus en plus exposé, Buck 65 ouvre à toute une partie du public et de la presse hip hop les portes de la très prolifique scène d’Halifax, Sixtoo, The Goods (Gordski et Kunga219) et Josh Martinez. Même le très conservateur The Source finit par se pencher sur cette étrange cité universitaire canadienne en 2001.
Entre-temps, Buck 65 rejoint pleinement Anticon, dont la notoriété croissante lui permet une distribution à la hauteur de son talent. Il revient en 2001 avec un très attendu nouvel album, déjà archi-piraté sur le Net à sa grande tristesse. Plus sage que Vertex, sans titre saillant comme "The Centaur" ou "Sleep Apnoea" (les pistes n’ont même pas de titre) et marqué par la mort de sa mère, à qui il est dédié, Man Overboard est fait toutefois du même bois que son prédécesseur. Capable de sortir plusieurs chefs d’œuvre d’affilés, plus ou moins tête de proue d’une scène musicale originale, Buck 65 a donc définitivement rejoint le clan des artistes rap majeurs.
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