Une interview de Company Flow avait déjà été planifiée il y a deux ans, quand ils étaient descendus dans le Sud de la France. Mais finalement, Montpellier était trop loin de Paris et nous les avions loupés. A cette époque, Bigg Jus avait déjà quitté les têtes de proue de la nouvelle vague hip hop et entamé de nouveaux projets. Nous voyons aujourd’hui cette interview comme une sorte de revanche, même si nous avons délibérément décidé de ne pas trop l’interroger sur son ancien groupe. Le temps est venu pour Subverse et l’album solo du rappeur, et cette histoire promet d’être aussi captivante que la précédente.
Commençons et finissons directement par les questions obligatoires sur Co-Flow, avant de passer à Sub Verse et à tes projets solo. Je crois me rappeler qu'il y a eu un concert d'adieu en mars dernier. C'était comment ?
Il y avait tout un tas de gens qu’on n’avait pas vus depuis pas mal de temps… De bons amis, l'émotion des retrouvailles...
Quelle est ton opinion sur ce que font Mr. Len et El-P à présent que vous avez chacun une carrière solo. As-tu eu l'opportunité d'écouter The Cold Vein de Cannibal Ox ?
Je pense qu'on a tous tellement travaillé de notre côté que nous n'avons pas eu le temps d'analyser nos oeuvres respective, à part certains trucs déjà sortis. J'ai entendu des tas de morceaux de Can Ox à plusieurs moments du projet, mais je n'ai pas encore d'exemplaire. Il y a des trucs très bons, et j'aime vraiment "Pigeon".
A présent tu diriges Sub Verse et ses premiers artistes sont The Micranots et Rubberoom, qui étaient autrefois sur 3-2-1 Records. Sub Verse est-il la réincarnation de 3-2-1 ?
En fait pas vraiment. C'est juste que 3-2-1 a fermé, et qu’ils n'auraient plus rien sorti si je ne les avais pas signés. C'était tellement dommage que j'ai fait de ces artistes ma priorité.
La deuxième grosse partie de Sub Verse à l'heure actuelle, c'est apparemment MF Doom/Zev Luv X, à en juger par la réédition de Operation Doomsday et de Black Bastards. Les prochains albums de Doom seront-ils sur ton label ?
Qui sait ? Doom est un ami et nous avons travaillé ensemble à la réédition de ces albums parce qu'ils n'avaient pas vraiment eu l'exposition qu'ils méritaient. Même si pas mal de "vrais" les connaissaient, tu ne t'imagines pas le nombre de personnes et de nouveaux venus pour qui ce n'était pas le cas. Doomsday s'est seulement écoulé à 10 000 exemplaires ce qui est peu par rapport aux gens qui découvrent l'album aujourd'hui … J'avais ce satané disque le jour même de sa sortie et puis bon, on n'est pas tous des faiseurs de modes.
En ce qui me concerne, je suis assez en colère car Sub Verse a réédité Operation Doomsday et Black Bastards avec des titres bonus qui n'étaient pas sur Fondle'em et Ready Rock. J'ai presque eu à les acheter deux fois. D'autres rééditions de ce type sont prévues ?
Pas vraiment t'en fais pas… Mais j'ai pensé que c'était bien d'ajouter quelque chose pour attirer à nouveau l'attention. Il n'y a plus de réédition de prévu, sauf s'il y a quelque chose qui mérite franchement d'être redécouvert. C'est le cas du premier LP des Juggaknots qui est actuellement réédité sur CD. C'est pas nous qui le faisons mais c'était nécessaire…
Le Black Bastards de KMD a été cité comme le meilleur album hip hop jamais sorti par le Ego Trip Book or Rap Lists et quelques autres. Il est maintenant édité et disponible à l'international grâce à Sub Verse. Y a-t-il eu une négociation entre Elektra et Ready Rock, puis entre Ready Rock et Sub Verse ?
Non, Elektra était hors jeu depuis longtemps, ils ont juste renvoyé les masters. Ready Rock a fermé donc c'était juste entre Doom et moi.
Et qu'en est-il de Blackalicious ? Ils sont désormais sur Ninja Tune avec Quannum, non ?
Il me semble aussi qu'ils ont quelque chose chez MCA… Sub verse et moi nous considérons plus comme un collectif d'artistes qui leur offre un moyen d'apprendre ce business vénal sans être exploités, afin qu'ils apprennent par eux-mêmes cette industrie très changeante. Blackalicious est l'exemple même de ça. Ils ont toujours mené leur business, ils ont reçu un petit peu d'aide de notre part et sont passés à l'étape supérieure. A long terme, les gens vont comprendre ce qu'on fait, même si pour certains, ça n'a aucun sens au niveau business. Et c'est logique, puisque ça n'est pas une histoire de business mais de culture.
Quels sont les prochains artistes et les prochaines sorties de Sub Verse ?
L'album de Bigg Jus Lune NTS, le nouvel album de Scienz of Life, quatre nouveaux singles, une compilation de tous les inédits et de tous les singles sur CD. Des tas des choses sont en cours mais il est trop tôt pour en parler.
Skit Slam est britannique, mais aussi sur Sub Verse, n'est-ce pas ? Toi et Sub Verse avez-vous des connexions internationales ? Ta première carrière au sein de Company Flow t'a-t-elle aidé à en avoir.
Skit est britannique mais vit maintenant dans le New Jersey. Il s'y est installé à 16 ans. J'adore leur single 4 titres. Si tu ne l'as pas encore écouté, procures-le toi. C'est l'exemple même d'un son qui a su traverser l'océan. Je suis très intéressé par les sons du monde entier. J'ai eu la chance avec Co-Flow de voir et d'écouter des tas de types intrigants, même si je ne comprenais rien à ce qu'ils disaient. D'une certaine façon, leur flow, leur cadence et leur style franchissaient les barrières.
Que connais-tu de la scène hip hop française ? Ma propre opinion et qu'elle est grosse en terme de ventes mais pauvre en qualité, à part quelques artistes asssez jeunes. Mais peut-être le point de vue des Etats-Unis est-il différent.
En fait, c'est un peu dur d'écouter du hip hop français ici. Les States sont si grands qu'il y a déjà plein de régions ici où les mecs n'ont même pas l'occasion d'écouter ce qu'il se passe à côté. C'est là que Sub Verse intervient, mais c'est pas facile… Il y a trop de gens qui veulent se servir de ce mouvement pour faire profiter à tous de cette chance. Je fais ça pour la gloire, mais si l'argent ne suit pas, ou ne couvre même pas les coûts, la progression se limite à un rythme lent. Même si certains types obtiennent des bagnoles et des bijoux, il n'y a pas tellement d'artistes hip hop qui sont dans ce cas. Il faut qu'il y ait un peu plus d'unification au départ pour ouvrir les voies de la communication, de la promotion, de la construction d'une carrière.
Tu te souviens du premier show de Co-Flow à Paris, au printemps 98 avec Mos Def ? Ou c'est juste un concert parmi beaucoup d'autres ?
Ou c'est juste un concert parmi beaucoup d'autres ? Ahh, tous ces concerts ont embrouillé ma mémoire… Bien sûr, je m'en rappelle quand même. Ca n'était pas notre premier show, on avait fait une petite manifestation underground deux mois avant celui-là.
Je sais que tu as été approché pour participer à la fameuse compilation franco-internationale Projet Chaos. Tu seras dessus ?
Oui, on négocie mon prix en ce moment. S'ils peuvent allonger 80,000$ US, ça peut se passer.
Ca me donne l'opportunité d'aborder ta carrière solo. Ton album est pour quand ?
Ca sort au début de l'année avec un single en édition limitée qui comprendra 7 morceaux, 1 remix, 4 instrumentaux et quelque chose de mes collaborateurs à la fin de l'été. Je pense que ça fera 13 pistes au total, mais ça sera moins cher qu'un EP. J'espère que l’effort sur le prix se répercutera chez vous.. Ca fait si longtemps que j'ai sorti quelque chose que je voulais en faire un objet accessible, sans avoir à me demander si je prenais la bonne décision. Je pense que cette suite de morceaux donne une bonne idée du son de mon prochain album, chaque morceau est bon.
Fais-tu ta propre production ? On peut avoir une idée sur comment ça va sonner ? Et de quoi les paroles traiteront-elles ?
J’ai tout fait sauf deux titres. Je viens de New York, je suis né et j’ai été élevé avec le hip hop depuis le début. Et un des éléments cruciaux était bien sûr d’apprendre à être original, de ne pas piquer les trucs des autres. Je te dirais que mes sons représentent ceci, tout autant qu’une progression dans le style. Quand tu écouteras l’album tu t’en rendras sûrement compte. Je ne veux pas être le genre de type attaché à un son particulier. En ce qui concerne les paroles, ça sera de la battle, du personnel, du social, du conceptuel et du graf.
Tu as déjà des projets en vue après cette sortie ?
Je bosse depuis toujours sur un documentaire. Je rassemble petit à petit la matière nécessaire. Ca prend un temps fou parce que je n’ai pas les moyens de le financer. Mais même en l’état c’est très bon.... C’est l’une des choses les plus faciles et les plus géniales que j’ai jamais faites parce que c’est nouveau et que le timing est OK. Faire un album, c’est beaucoup plus difficile, à cause des oreilles critiques qui t’attendent. J’en suis moi-même une, je le sais. Je mettrai toute mon énergie dans cet autre projet quand l’album sera passé au stade de la promotion.
Finissons par ma question standard : qu’y a-t-il sur ta playlist en ce moment ?
Je dois être un de ces types qui n’écoutent rien quand ils enregistrent. Habituellement, je n’écoute rien pour garder les idées claires et ne pas être influencé par les autres. Malheureusement, ça fait bien un an que ça dure, et que je n’ai rien écouté à part ce que je fais moi-même pour Subverse. J’ai juste acheté l’album des Outsidaz, mais je n’ai même pas eu l’occasion de l’écouter. C’est triste, en quelque sorte, mais j’ai des amis qui sont DJ ou ont des boutiques et qui me tiennent informé de tout ce que je n’ai pas le droit de louper. Même si ça n’est pas arrivé depuis longtemps... Il semble quand même que des mômes ont compris comment faire des disques et comment les sortir eux-mêmes maintenant que les vannes sont ouvertes. Des tas de choses hors du commun sont sorties.
Un message ou une déclaration pour terminer cette interview ?
Peace à tous en France, continuez à donner le meilleur de vous-mêmes.
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