Plus proches des rivages habituels au hip hop que les autres sorties du label, Awkward est une nouvelle réussite à inscrire à l’actif de Big Dada, même si le rap de Ty tient davantage du travail rondement mené que du génie authentique.
Big Dada :: 2001 :: acheter ce disque
Le rap anglais a beau être plus actif que jamais, sa cartographie peut être tracée en quelques coups de crayons. D’un côté, une série d’artistes décidés à se conformer aux canons américains, en vue sans doute de susciter le respect des modèles d’Outre Atlantique (Nextmen, Creators, Mark B. & Blade, etc...). D’un autre, des gens plus hallucinés et audacieux, prêts à jouer les expérimentateurs (Roots Manuva, New Flesh for Old, Gamma, etc...). Et en marge, quelques survivants de l’ère électronique friands de sonorités et de crédibilité hip hop, mais à la sensibilité nettement à part (Grand Central, la scène mancunienne).
A l’instar de ses amis et collaborateurs les Unsung Heroes, Ty, habile MC d’origine nigériane et vétéran du rap anglais, se situe quelque part entre la première et la deuxième. Assez solide et inventif pour satisfaire aux exigences d’admission chez les fêlés de Big Dada, il cultive un son Native Tongues (ne lui dîtes pas, il déteste les classifications) et des accointances avec Mos Def et Talib Kweli qui le placent dans le camp finalement conservateur du rap "conscient".
Conformément à ce genre de description, Ty, de sa voix douce et noire, livre sur Awkward un rap paisible, réfléchi et souvent très lent. Pas de souci cependant, aucune somnolence ne guette l’auditeur à l’écoute de "Mind Made up", de "You’re so...", de l’excellent single "Break the Lock" ou des choeurs indolents de "Trippin over Words", grâce, comme souvent en tel cas, à de multiples détails musicaux, par exemple les cuts de DJ Pogo sur "Hercules". Sans surprise, Ty, ses producteurs et ses musiciens brassent l’héritage entier des musiques noires, à coup de sonorités jazzy, de guitare funk ("Walk wit your Ego"), de rythmiques chaloupées façon reggae ("The Tale"), et d’afro beat. Le tribut au continent noir est longuement rendu sur "Zaibo", où le MC s’accompagne de Sibihan et de Frenchy Kougga du groupe zaïrois de Londres Sankofa, lesquels se fendent de paroles dans un dialecte africain et en français.
Ces nombreux éléments ne gênent heureusement jamais la cohérence du tout. Ty livre ici un véritable album, uni par une même sensibilité et par sa voix chaleureuse, même si quelques participations, comme la production des Unsung Heroes sur "Mind Made up", "Jealousy" et le vraiment très bon "Ghetto Perspective", sont assez reconnaissables. Et si quelques surprises, comme les guitares façon Eagles (ne fuyez pas, le résultat est une réussite) de "The Nonsense", le deuxième single (sur lequel interviennent son vieux comparse Shortee Blitz et ses amis du Lyrical Lounge), surviennent sans crier gare.
Plus proches des rivages habituels au hip hop que les autres sorties du label, Awkward est donc une nouvelle réussite à inscrire à l’actif de Big Dada. Une œuvre à ranger indubitablement parmi les bons albums (le premier de 2001), même si le rap de Ty tient davantage du travail rondement mené que de l’authentique génie. Tout du moins le MC évite-t-il les pièges habituels de ce rap posé, n’hésitant jamais à traiter ses sujets avec distance ("Jealousy"), voire avec humour, et sans jamais départir d’une grande humilité, évidemment compatible avec quelques ego-trips. Il n’y a qu’à considérer le titre du disque ("maladroit") et les notes de pochette (Ty s’attribue des "attempted sexy bullshit rap vocals" sur "You’re so...") pour le constater. Le MC livre le véritable rap conscient, celui qui sait se tenir à l'écart des clichés et du misérabilisme qui envahissent le genre.
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