Certains, prodigues en superlatifs, considèrent déjà Bottle of Humans comme le sommet de la récente mais déjà conséquente discographie d'Anticon. Comme si Sole, le patron du label et le grand organisateur du buzz qui l'entoure, s'était entendu avec ses amis producteurs pour qu'ils réservent leurs meilleurs beats à ses lyrics ambitieux et conceptuels. Pas de quoi s’émerveiller pourtant sur la première version de l'album, un bootleg sorti en 1999, sans doute censé amorcer la hype et tester les réactions de leurs bases. Si quelques morceaux éparpillés à droite et à gauche pouvaient prétendre au titre de chefs d'œuvre, le reste, brouet indigeste irrémédiablement desservi par la voix infecte de Sole, tirait funestement le disque vers le bas.

SOLE - Bottle of Humans

Un an après, Sole remet ça avec la version officielle de l'album, consécration planifiée d'Anticon après le succès critique de The Taste of the Rain… Why Kneel? et de Them. Enrichi, perfectionné, Bottle of Humans devait enfoncer le clou. Et il l'a fait, en effet, chez les personnes rares qui avaient déjà accordé leurs faveurs au sémillant label. Pourtant, les progrès ne sont pas très perceptibles sur cette version définitive. L'album ressemble comme une goutte d'eau à sa première ébauche. Tout juste Sole et ses amis (Controller 7, Math, JEL, Daddy Kev, Alias, Odd Nosdam, Sixtoo, Raggedy Andy, Panic, DJ Mayonnaise, Scott Matelik et Wes Bonifay) ont-ils ajouté quelques titres de ci de là, plus ou moins écoutables, mais jamais les meilleurs.

Les quelques pépites que compte Bottle of Humans existaient déjà sur le bootleg dans des versions identiques. Parmi ces titres qui valent vraiment la peine, citons le tout premier, ce "Dismantling of Sole's Ego" produit par Controller 7. Il constitue une fabuleuse entrée en matière, malheureusement gâtée par les tracks suivants. Une série de trois morceaux tire aussi son épingle du jeu en fin de parcours : "Save the Children", ses "ouh ouh" plaintifs et son magnifique refrain ; "Suicide Song" et sa guitare acoustique minimale, séparée par des ruptures évocatrices et pertinentes ; "Year Ov Da Sexxx $ymbl", jouissif quand surgit une trompette, en plein cœur du morceau. Et puis surtout, il y a ce mélancolique "Furthermore" produit encore par Controller 7, meilleur titre jamais proposé par Sole, sans le moindre doute.

D’autres morceaux sont plutôt bons : "I don’t Rap in Bumper Stickers", entraînant et groovy, à défaut d’être mémorable, le sombre "Nothing Fell Apart", et "Bottle of Humans", le single. A première écoute, ce long titre est même impressionnant, et en a secoué plus d’un, votre serviteur en premier lieu. Mais bon, à force, l’auditeur se lasse de cette formule bête comme chou : coller une instrumentation (violons larmoyants) et des beats (lourds et lents) à la Portishead sur un rap déclamatoire à la El-P. Pour un résultat bien inférieur et à Portishead et à Co-Flow. Et ce n’est pas tant la production d’Alias qui est en cause, mais plutôt la voix de Sole.

Certes, le patron d’Anticon a de la ressource, ses paroles grandiloquentes ne manquent ni d’adresse ni d’intelligence. Mais bon, soyons franc, Sole n’est pas un MC : sa scansion est poussive, son phrasé rigide, sa voix insupportable, ses textes ne connaissent pas les vertus suprêmes de la concision. Quel soulagement quand le MC cède la parole à d’autres plus habiles que lui, sur "Our Dirty Big Secret" par exemple, ou sur "Center", titre en plusieurs mouvements où il est secondé par Why... Et rien d’étonnant à ce que "Save the Children" soit si bon, la voix de Sole y étant en retrait. Car il suffit que les beats n’assurent plus derrière, ou qu'ils soient trop minimalistes, pour que la musique de Sole devienne une séance de torture, comme sur "Famous Last Word", "Understanding" ou dans une moindre mesure "Sole has Issues".

Ca n’est donc pas Bottle of Humans qui est décevant. C’est sa version définitive. Franchement Sole aurait mieux fait d’en sortir une version EP, ou d’attendre d’avoir de nouveaux morceaux vraiment bons dans sa besace, voire carrément de ne pas rapper. Oui, c’est ça, de ne pas rapper, de nous laisser seul avec les producteurs. Même si ces derniers, à l’exception du magique Controller 7, ne sont pas non plus exempts de tout reproche. Quelques compositions théâtrales et pompières confirment les accusations de "hip-hop progressif" parfois portées sur Anticon, quelques effets sont trop pensés, pas assez instinctifs. Les gros sabots sont là.

Mais revenons à Sole, puisqu'il le vrai problème de cet album : nous l’aimons, qu’il en soit convaincu, lui, ses parti-pris artistiques, ses protégés et même ses célèbres cheveux roux. Mais de grâce qu’il se contente de publier ses textes intrigants sur papier et qu’il se concentre définitivement sur ce qu’il sait le mieux faire : le management et la promotion de son label. Chacun son job. "I Want to talk until Everybody Listens" clame-t-il pourtant sur l'album.

Ouais, cause toujours...

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