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C’est récurrent, rituel, systématique. Régulièrement, sur la fois d’un album ou d’une poignée de singles, la critique hip hop annonce le retour du Daisy Age, l’Âge des Paquerettes, nommé ainsi à cause d’un titre de De La Soul période Three Feet High & Rising, et censé regrouper l’ensemble des artistes qui à cette époque, ont défendu un hip hop ouvert, positif, drôle et terriblement irrésistible. Cette fois, c’est le très réussi deuxième album de Black Eyed Peas, groupe angelino multi-culturel formé par Will I Am, Apl de Ap et Taboo, qui légitime cette résurgence. Et pour cause : le trio a réuni plusieurs célébrités du hip hop ou de la soul qui cultivent cet esprit (Macy Gray, Wycleef Jean, Mos Def, Esthero, Chali 2na de Jurassic 5, les françaises Les Nubians et bien sûr... De La Soul) dans le but, comme Bridging the Gap, le nom de l’album, l’indique, de construire un pont entre deux mondes.
Les deux mondes sont d’abord, comme toujours, le rap institué d’un côté, l’underground de l’autre, Black Eyed Peas mariant ces collaborations prestigieuses et des titres très entraînants et accrocheurs, à une véritable réussite artistique. Il s’agit aussi, comme d’autres avant eux, de proposer un album accessible à un public plutôt rock, sans pour autant sacrifier à l’inventivité qui est la marque du hip-hop. Et pour ça, rien de tel qu’une vieille recette : marier des couplets rappés, mais très mélodiques, à des refrains chantés. Le trio applique la formule systématiquement, tout particulièrement avec Esthero sur un "Week End" funky parcouru de scratches et réminiscent du "Family Affair" de Sly Stone, sur "Magic", sur "Bridging the Gaps", ou sur "Hot", l’une des gemmes de l’album, où les chants r’n'b retrouvent pour de vrai, pour une fois, l’esprit soul originel.
D’emblée, donc, dès "Beautiful People" et en compagnie de Macy Gray, les Black Eyed Peas proposent un album extraordinairement accessible, de ceux qui dévoilent leurs charmes dès la première écoute, sans nécessairement décevoir par la suite. Par chance, il y a tout ce qu’il faut pour varier les plaisirs et multiplier les découvertes. Notamment ces accents hispanisants, qui se retrouvent sur les paroles en espagnol de "Tell your Mama Come", ou, de façon légère et subtile, dans la musique d’un "Do It Twice" parcouru de flûtes. Mais aussi "Go-go", éclatant et brillant hommage à la go-go, genre musical né dans les night clubs black de Washington, et qui, contrairement à ses cousines la house, la techno ou la garage n’a jamais explosé en dehors du public black.
Bridging the Gap est donc l’album rêvé pour les gens qui s’intéressent au rap, sans doute par mauvaise conscience, sans véritablement aimer ça. A bien des égards, malgré un son bien différent, il rappelle la démarche d’Arrested Development en d’autres temps. Comme ces derniers, d’ailleurs, le trio doit quelquefois se dépouiller du génie caractéristique du hip hop, voire des musiques noires en général, pour mener à bien son entreprise de séduction. C’est flagrant sur les quelques moments d’ennui que compte l’album, "It’s On" notamment, ou, dans une moindre mesure, "Bridging the Gap". Mais ces pertes de régime sont largement compensées par les merveilles déjà mentionnées, ou par de purs diamants à la manière de "Hot" et de "Little Little". Dans le genre rap vivant et entraînant, le tout reste 100 fois plus captivant que les pitreries old school de passéistes à la Jurassic 5, par exemple.