Il a bien de la chance, le Guru. Un tel album sorti chez un indé et sans l’attirail marketing de circonstance aurait été oublié en deux jours. La célébrité aidant, il faudra un peu plus longtemps avant que le troisième volet de Jazzmatazz ne rejoigne sa destination naturelle : les poubelles de l’histoire du hip hop. Streetsoul, bientôt en vente chez Emmaüs.
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Au fil des ans, progressivement, Guru et DJ Premier sont devenus l’équivalent hip hop de la Statue du Commandeur. Deux artistes forcément géniaux, personnages centraux d’une aristocratie rap qui se veut la face respectable du genre. Sur la foi des classiques du début, de leurs multiples collaborations, les deux membres de Gangstarr sont cités à loisir par ceux qui se targuent d'écouter du hip hop sans aimer vraiment ça, ou par les fans de rap français en mal de références américaines. Tous s’inclinent devant les maîtres, veillent au respect de leurs idoles, sans réaliser que toutes deux ont perdu de longue date l’essentiel de leur talent. Prenons le dernier volume de Jazzmatazz, le joujou préféré de Guru, à titre d’exemple, porté aux nues par les deux catégories citées plus haut, et pourtant mauvais, d’un terne et d’un ennui mortels.
L’histoire de Jazzmatazz avait pourtant bien commencé. Initiative sans doute sincère du MC de Gangstarr, elle avait été l’occasion pour le milieu hip hop de s’associer aux maîtres jazz et de leur rendre hommage autrement que par le pillage intégral de leur catalogue. L’alliance des genres, pas toujours convaincante, notamment sur un deuxième volume assez calamiteux, avait tout de même été l’occasion de quelques bons morceaux. A l’heure du troisième album de la série, Guru se met de plus en plus en avant (son nom apparaît en gros sur la pochette, au point de se demander si Jazzmatazz n’est pas simplement son pseudo en solo), et décide cette fois de ne plus vraiment s’occuper de jazz, mais de soul. Histoire de surfer sur le revival ambiant, voici donc Streetsoul.
Guru passe donc du jazz à la soul. Mais manque de bol, c'est le r'n'b qu'il réinvente. Le r'n'b moderne, évidemment, le boursouflé, le sirupeux. Résultat : rares sont les titres être marquants, quand bien même les très officiels génies de la production DJ Premier et Jay-Dee viennent y mettre leur grain de sel. Il y a bien quelques graines de hits : "Certified", en compagnie de Jay-Dee et de Bilal, fort de ses terribles choeurs ("he's got sououououl !!"), mais vite lassant ; et le charmant "Plenty" sauvé par Erykah Badu, aux intonations plus jazz que soul, précisément.
Quelques morceaux corrects font leur apparition, comme "Where’s my Ladies" ou "Keep your Worries" . Il se passe aussi un petit quelque chose sur "Who’s There", quand Guru essaie de nous tirer des larmes par un petit sample gentillet, mais le refrain des Nubians laisse circonspect : rien à faire, "tu prendras soin de moi quand dans mon cœur il fera froid" sont des paroles qui sonnent plus naturelles en anglais qu’en français.
Le reste de Streetsoul ne vaut pas vraiment la peine d’être mentionné. Ca n’est qu’une suite de titres d'une platitude des plus convenues. Un exercice attendu, prévisible à la note près, sans odeur et sans saveur. Et les invités n’y peuvent strictement rien. "Lift your Fist" en compagnie des Roots ressemble formellement aux meilleurs moments de Things Fall Apart, sauf que là, ça ne le fait pas. Même chose pour "Timeless", sur lequel Herbie Hancock imite quelqu’un qui imite Herbie Hancock. Et même Macy Gray, dont la voix chaleureuse a sauvé plus d’un morceau pourri, ne peut rien pour "All I Said". Bref, aucune trace de "street" dans les titres vides, creux, plats de cette superproduction, et encore moins de "soul" dans son sens premier, celui de musique de l’âme.
Streetsoul n’est pourtant pas nul : un album nul est un album pénible, insupportable, un truc infâme qui fait mal aux oreilles. Or, celui-ci se laisse écouter. Il est présentable, propret, bien comme il faut. Mais il confirme aussi qu’il existe un adult hip hop aux airs de musée, un rap à papa dont Guru et son entourage sont devenus les principaux acteurs. Il a bien de la chance, le Guru, car un tel album sorti chez un indé et sans l’attirail marketing de circonstance aurait été oublié en deux jours. La célébrité aidant, il faudra un peu plus longtemps avant que le troisième volet de Jazzmatazz ne rejoigne sa destination naturelle : les poubelles de l’histoire du hip hop. Streetsoul, bientôt en vente chez Emmaüs.
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