Depuis Wu-Tang Forever, disque fort mais inégal, la mécanique de conquête du monde lancée par le Wu-Tang Clan semblait se heurter au scepticisme des critiques hip hop les plus exigeants. Un scepticisme renforcé en 1998 par la sortie d'albums (The Pillage de Cappadonna, Heavy Mental de Killah Priest) et d’une compilation (The Swarm) tout juste corrects. L'explication la plus commune à cette perte de régime est la dispersion du RZA, producteur et âme damnée du collectif, sur toute une série de projets annexes. Parmi ces derniers, le tournage d'un film dans le genre blaxploitation, au scénario particulièrement loufoque, du nom de Bobby Digital, et dont voici la bande originale.
Gee Street / V2 :: 1998 :: :: acheter ce disque
A première écoute, ce Bobby Digital in Stereo ressemble à un cousin lointain au Wu-Tang de la grande époque (1993-96), avec sa suite de raps tantôt atmosphériques et minimaux, tantôt baroques et bizarres. Si quelques tics énervants viennent gâter cette formule éprouvée (le nom "Bobby" répété toutes les 2 secondes), quelques évolutions dans le son du RZA sont plutôt bienvenues, notamment un plus grand recours aux raps et aux chants féminins, thème du film oblige. Autres curiosités notables : des intermèdes polyglottes. Drôle d'effet d'entendre une voix féminine et française (sur "Slow Grind French") séduire le RZA.
Léger et récréatif, l'album tient cependant la route. Mis à part des titres bonus superflus, peu de chose est à jeter sur Bobby Digital. Une fois passé un "B.O.B.B.Y." saoulant commence un quasi sans faute, à l'image du single "N.Y.C Everything", où d'autres MC's du Wu viennent comme à leur habitude prêter renfort à l'un des leurs. La formule se tasse un peu, passée la moitié de l'album, notamment avec ce "Kiss of a Black Widow" un brin ennuyeux, et malgré le renfort d'Ol' Dirty Bastard et d’un sample de Portishead. Mais c'est pour mieux repartir sur les deux titres suivants : "My Lovin' is Digi", débauche incroyable de cordes, de la grosse artillerie, mais avec la classe ; et "Domestic Violence", torrent d'injures échangées au cours d'une dispute conjugale, avec en fond sonore et en contrepoint un piano brut et imperturbable.
RZA le reconnaît d'emblée, cet album est un gigantesque défouloir, une récréation dans l'attente de sa véritable œuvre solo prévue pour les calendes grecques et intitulée The Cure. Entre-temps, Robert Diggs, grand enfant, s’amuse et se lâche. Il profite de son statut de star pour s'essayer à toutes les fantaisies. Les premiers à avoir perçu le déclin du Wu-Tang n'y verront que futilités et pertes de temps. Mais d'autres, pas forcément moins perspicaces, tiennent la preuve que RZA n'a pas à se forcer pour être talentueux, et que décidemment, le génie du Wu-Tang réside pour une bonne part en lui seul.
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