Finalement, 3 ans après le monumental 6 Feet Deep, les fossoyeurs sont de retour. Pourtant, on ne donnait pas cher de l'avenir des quatre de Gravediggaz. Certes, Prince Rakeem (the RZA, pour le Wu-Tang Clan), Prince Paul (ex-Stetsasonic, ex-De La Soul), Frukwan (ex-Stetsasonic) et Poetic (ex-Too Poetic) avaient alors défrayé la chronique en devenant les chefs de file d'un nouveau mouvement musical appelé horror-core. Mais deux éléments semblaient maintenant jouer contre eux...
En 1994, les quatre membres de Gravediggaz sont avant tous des has been, tous éjectés du label Tommy Boy pour ne pas avoir prolongé (Prince Paul, Frukwan) ou simplement assuré (Rakeem/RZA, Poetic) le succès que l'on attendait d'eux. L'étiquette de premier supergroupe du rap n'est alors qu'une maigre consolation. Ensuite, le triomphe du Wu-Tang Clan, nouveau projet de Rakeem, pouvait laisser penser qu'il ne se soucierait plus de ses anciens compères. Mais le RZA ne perd jamais une occasion de laisser son empreinte partout où il le peut...
Indiscutablement, The Pick, the Sickle and the Shovel porte la marque du RZA. La photo de la pochette résume la nouvelle situation : il pose en premier plan, Frukwan et Poetic à ses côtés, et Prince Paul est relégué à l'arrière-plan. Le même ne produit qu'un morceau de même pas deux minutes sur toute la longueur de l'album. De fait, ce disque est indirectement un nouvel album du Wu-Tang. La plupart des morceaux sont en effet produits par les Wu-Elements, soit tout le staff de production du Wu-Tang (RZA lui-même, 4th Disciple, Truemaster...). Et ça se sent, tant dans le son que dans la thématique, les fossoyeurs ayant mêlé un peu d'angélisme (la pochette est blanche, détail significatif) à leurs habituelles obsessions mortuaires.
Le ton est donné dès l'"Intro", parlée sur fond de bidouillage minimaliste et inquiétant produit par le RZA. Plus Wu-Tang, tu meurs... Même chose sur "Dangerous Mindz", ses violons synthétiques et son gimmick gainsbourien qui caressent dans le sens du poil. Cette fois les beats sont signés 4th Disciple, le plus pop des Wu-Elements. "G.R.A.V.E.D.I.double G.A.Z " épellent nos amis sur "Da Bomb". Rires maléfiques, voix d'outretombe qui ne cesse de répeter "the bomb", ambiance macabre, Truemaster, cette fois, nous ramène à la thématique du groupe.
Voix féminine, violons lyriques et orageux sur "Fairytalez", avec son sample issu du Salsoul Orchestra. Et sur "Never Gonna Come Back", c'est un morceau du gros, précieux et injustement mésestimé Barry White qui est invité à faire un tour. Pour l'un des meilleurs résultats de l'album, contraste parfait entre des couplets denses et généreux et un refrain sombre et dépouillé, sur fond de beat sans concession. Ambiance épique sur "Pit of Snakes", où l'on retrouve le souffle du Wu des meilleurs jours. Une production cosignée Truemaster et RZA. Un pas supplémentaire vers la perfection est franchi avec le piano et le violon émouvants de "The Night the Earth Cried", produit, on ne s'étonne plus, par 4th Disciple, décidément arrivé à maturité. Les paroles sont aussi au rendez-vous : "Night time, I can hear the Earth cry. I wonder how many black guys must die". Puis c'est la guerre sur "Elimination Process", avant de repartir sur de nouveaux borborygmes lugubres, sur fond de synthé conquérant.
Une fois que Big Ben s'est tu, "Repentance Day" peut s'affirmer comme une merveille de rap sombre. Lassante à la longue quand même, la merveille, malgré le renfort des Sunz of Man et de Killah Priest. Le morceau suivant, "Hidden Emotions", commence par une longue histoire de deux minutes avec force "nigga" et "motherfucker", avant d'entendre une femme accoucher. Il fallait bien cette pause pour nous préparer au morceau proprement dit, le chef d'oeuvre de l'album, fantastique piano paisible accompagné par intermittence d'un orgue. Quelle surprise de constater qu'une telle perle est produite par Truemaster ! On pensait que 4th Disciple était le seul Wu Element à pouvoir approcher le génie du RZA. Et l'on constate qu'un autre, aussi, est près d'y parvenir.
Sur le morceau suivant, Gravediggaz massacre allègrement le "What's Goin' On" de Marvin Gaye. Un vrai bonheur toutefois, de retrouver la voix prodigieuse de Blue Raspberry, la fantastique choriste du Wu. Les deux derniers titres sont des cours de rattrapage pour les membres du groupe qui n'en ont encore produit aucun. Frukwan s'y colle en premier sur "Deadliest Biz". Malheureusement pour lui, c'est sans doute le morceau le plus faible de l'album. Et Prince Paul, dont on oublierait presque l'appartenance à ce groupe (il en est pourtant le fondateur), se limite à la minute et 22 secondes de l'"Outro". Un piano délicieusement déréglé, que l'on souhaiterait entendre plus longtemps. Mais ce disque n'est pas un nouveau chef d'oeuvre de ce producteur mythique. Mais plus probablement le meilleur album du Wu-Tang en 1997..
Merci pour tes multiples contributions et chroniques, grâce auquelles je replonge avec grand plaisir dans certains albums aimés, pas oubliés, mais jamais en haut du tas
Juste pour dire, sinon, à propos de la dernière phrase et du millésime 97.....Silent weapons