CODEINE – Frigid Stars LP

CODEINE – Frigid Stars LP

Il y a manifestement eu, chez Codeine, une volonté de prendre le public à contre-pied. La pochette dépouillée qui orne leur premier album prend un malin plaisir à inverser les couleurs d’un ciel étoilé. Les mots qui l’intitulent, dénichés chez Mark E. Smith, nous parlent de stars imperméables à l’amour. Et puis, appelée slowcore quand elle sera devenue un genre en soi, leur musique formidablement lente chamboule du tout au tout l’un des fondements du punk hardcore : jouer vite, avec frénésie.

Stephen Immerwahr (basse, chants), Chris Brokaw (batterie) et John Engle (guitare), cependant, ne considèrent alors pas leur musique comme issue du hardcore. Venus de la scène fertile d’Oberlin, ils évoluent dans le contexte du rock alternatif de l’époque, mais leurs influences sont plus larges. La référence à The Fall n’est pas fortuite, on entend chez Codeine du post-punk, ainsi qu’un peu de jazz et le Velvet du troisième album. Pour vous en convaincre, écoutez donc le dissonant « Second Change », ou bien « New Year’s », un morceau écrit avec Sooyoung Park de Bitch Magnet.

L’intention de Codeine est dans le nom du groupe. Celui-ci cherche à reproduire en musique l’état lancinant provoqué par les opiacées. Néanmoins, à l’époque où ces pionniers du slowcore ne sont encore signés que sur un label allemand, Glitterhouse (ce n’est qu’un an après qu’ils rejoindront Sub Pop), le hardcore est plus présent ici que chez leurs successeurs les plus contemplatifs, comme Low.

C’est malgré toujours du punk hardcore que l’on entend ici. Il y a de la nervosité chez Codeine. C’est lent, mais c’est fort. Ce n’est dénué ni d’accélération, ni de montée de ton, comme avec l’épique « D ». La guitare agresse, les cymbales frappent, obsédantes. Le mal-être alimente des paroles traitant de façon elliptique de dépression, de difficultés relationnelles, d’amour perdu, de détresse affective, de désir de fuite en avant et d’insignifiance de l’existence, entre autres. L’orage couve, il menace d’exploser, et souvent, il finit par le faire : il tonne, dans un tintamarre d’électricité.

Tout cela est familier. Mais Codeine le délivre pesamment, avec des pauses et des arpèges instrumentaux, avec des syllabes qui s’étirent autant que les notes. Et avec ces saisissantes démonstrations que sont « D », « Cave-In » (oui, il s’agit bel et bien du morceau qui a baptisé le groupe du même nom), « Old Things », « 3 Angels » et le crescendo final de « Pea », Immerwahr, Brokaw et Engle démontrent à travers cet album historique la puissance saisissante de la lenteur.

Acheter cet album

The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *