ACE CINO – Chi Chi Get The Yayo

Le Detroit de l’après Doughboyz Cashout, celui de la période 2015 à 2020, c’est comme l’Atlanta post-Flockaveli, dans les années 2010 à 2015. C’est fini, c’est déjà de l’histoire ancienne. Mais qu’importe, au bout du compte, puisqu’on peut y revenir sans cesse, à loisir. Qu’on peut s’y replonger jusqu’à la satiété. Que jamais, ô grand jamais, on n’en fera le tour. Que toujours, on en découvrira de nouveaux acteurs, de nouvelles « mixtapes » d’anthologie, d’autres « projets » de cette époque bénie où le moindre rappeur était possédé par le démon, où le moindre quidam issu des lieux pouvait entrevoir le succès, et où, stimulé par cette perspective, il donnait tout ce qu’il avait.
Ace Cino est l’un de ces rappeurs du Michigan dont nous n’avons pas encore parlé et qui, néanmoins a apporté sa pierre à l’édifice du rap de Detroit. Il y est allé de sa contribution, avec par exemple cet « album » dont le titre se réfère à son autre surnom (Chi Chi) et à une citation de Scarface, quand Tony Montana demande au personnage du même nom d’aller chercher la cocaïne (la « yayo »). L’allusion au film culte, le photomontage de la pochette qui suit ce délire et le pseudo de celui dont le vrai nom serait Kenneth Passmore (Ace Cino = assessino), annonce évidemment des histoires d’argent, de mafieux, de plugs, et de je ne sais quoi encore. Et de sexualité rude, aussi, bien sûr.
Scarface est invoqué, mais aussi les Sopranos. Le dialogue qui commence chaque titre, « are you in the mafia? », avec un systématisme pas loin d’être irritant, est issu de la série. Immanquablement, il signale la présence dans les parages de Damedot, et l’on sait que ce dernier est l’un des meilleurs représentants du son de Detroit, l’un de ses originateurs. Ace Cino appartient à sa bande. Son rap de gangster verbeux et inarrêtable, donc, il le déroule sur les nappes crispantes, les touches de piano nerveuses et les cloches de saison, et tout le tintouin. Et c’est particulièrement prenant et entêtant sur « Mike Weber », « Harden », et avant cela sur « Reaper », une suite de raps chantonnés tous sur le même mode, couplets comme refrain, et néanmoins un temps fort de cette sortie.
Mais ce n’est pas que cela. Cette sortie s’offre l’agrément de quelques samples, comme avec les chants féminins de » Thinking », en complément de la rappeuse Chef Lay, ou l’emprunt à Franz Schubert, cette vieille branche, sur « Gutta Since A Yungin ». Signe distinctif pour Ace Cino, on y trouve aussi beaucoup de morceaux R&Bisant et/ou Auto-Tunés diversement réussis, comme quand un certain 50 50 Smack intervient sur « Wipe Yo Nose », et puis plus tard avec « Jus 4 Me », « Left The Trap », » Thinkin Bout Ya » et « Feelings Gone ». Et puis les invités sont bien dosés et bien choisis, notamment des têtes d’affiche du rap local comme Babyface Ray sur le très bon « Like Fam ».
Chi Chi Get The Yayo est la contribution principale d’un second ou troisième couteau de cette période magique où la Motor City est devenue la place forte du vrai bon rap de rue. Sans doute est-il destiné aux fans de ce son, exclusivement. Mais honnêtement, de 2015 à 2020, pouvait-on raisonnablement (ou déraisonnablement) être autre chose qu’un fervent amateur du rap de Detroit ?