SACHA JENKINS, ELLIOTT WILSON, CHAIRMAN MAO, GABRIEL ALVAREZ & BRENT ROLLINS – Ego Trip’s Book Of Rap Lists

SACHA JENKINS, ELLIOTT WILSON, CHAIRMAN MAO, GABRIEL ALVAREZ & BRENT ROLLINS – Ego Trip’s Book Of Rap Lists

Les rappeurs, et au-delà tous les praticiens du hip-hop, n’ont jamais rien fait comme les autres. Leurs chanteurs ne chantent pas, ils parlent. Leurs DJs malmènent les disques et ils les passent dans le mauvais sens. Leurs danseurs se jettent au sol et ils tournent sur la tête. Leurs peintres prennent la rue pour atelier et pour galerie d’exposition. Alors bien sûr, il ne fallait pas s’attendre à ce que leurs journalistes délivrent une histoire bien sage de ce mouvement, et qu’ils suivent une bête trame chronologique. Non, pour rendre compte de l’extraordinaire richesse de leur musique (bien avant que la critique musicale ne se résume plus qu’à cela sur Internet), ils compilent des listes, à n’en plus finir.

Les cinq personnes à l’origine de ce recueil culte, sont les fondateurs (Sacha Jenkins, Elliott Wilson, Jefferson « Chairman » Mao, Gabriel Alvarez) et le directeur artistique (Brent Rollins) de Ego Trip (ou ego trip, sans majuscule), un magazine new-yorkais de la fin de la décennie 90 dédié (entre autres) au hip-hop. Celui-ci n’aura vécu que quelques années et édité une poignée de numéros, mais sa passion et son ton impertinent auront marqué les esprits, tout autant que cette ironie qu’il annonçait dès son sous-titre : the arrogant voice of musical truth (la voix arrogante de la vérité musicale).

Dans ce livre publié en 1999 dont la mascotte est la poupée de Biz Markie, on retrouve deux des principes du magazine : l’érudition (les auteurs sont plus ou moins des sommités, ils ont contribué aux grands titres de la presse rap et musicale américaine), et l’humour. Les vingt années de rap qui ont précédé sa publication sont examinées sous toutes les coutures, et tous les domaines de la culture hip-hop sont explorés (les rappeurs, les DJs, les paroles, la production, la danse, les labels, etc.), autant que des sujets adjacents (les bandes et les gangs, le sport, l’argent, les films, le sexe et la weed…), à travers plusieurs chapitres thématiques. Et tout, absolument tout, est décliné sous la forme de listes, ce format dont on sait depuis Nick Hornby qu’il est adulé par les fans de musique.

Certaines de ces listes sont attendues (les meilleurs emcees de tous les temps, les plus grands producteurs, les meilleurs ghostwriters, les meilleures pochettes de disque, les meilleures faces B, etc.), et d’autres sont plus originales (les meilleurs skits de Prince Paul, les artistes rap aux noms quasi-identiques, les dix rappeurs anti-danse, les vingt-neuf titres d’albums inspirés d’un film, les vingt-huit morceaux qui parlent de rester vrai…), voire elles virent au n’importe quoi (les personnalités rap qui ont admis avoir travaillé dans une chaine de fast food, les plus grands catcheurs de tous les temps d’après Inspectah Deck, les strip clubs d’Atlanta préférés de Big Boi).

Comme c’est de critique qu’il s’agit, et non de ce ton consensuel qui domine la presse grand public, les auteurs prennent position. Par exemple, parmi ceux qu’ils jugent être les premiers albums les plus décevants, figurent certains contre lesquels ils ont la dent dure (le Soul On Ice de Ras Kass, le Regulate de Warren G, le Doe Or Die d’AZ…). Et sur l’ensemble du livre, ils manifestent des points de vue marqués et des partis-pris prononcés, aligné certes au fort tropisme new-yorkais de l’époque.

Ce livre est vite devenu culte, et il a eu une postérité. Il a donné lieu en 2002 à une suite intitulée le Ego Trip’s Book Of Racism, et dédiée, bel et bien, sur le même mode drôle et impertinent, à la question de la représentation de la race dans la culture populaire. Et avant cela, dès l’an 2000, a succédé au premier livre une compilation de raretés, Ego Trip’s The Big Playback.

Cette dernière est sortie chez Rawkus, et c’est logique tant la passion nostalgique des auteurs pour un hip-hop arty et créatif rejoint celle du mouvement rap indé, dont ce label est alors le porte-voix. Cette nostalgie, on la ressent encore aujourd’hui. Ce livre, c’est le testament d’un certain hip-hop. Ses références paraissent datées, évidemment, vingt-cinq années de rap plus tard. Néanmoins, en raison de son bon goût et de son humour truculent, on n’a jamais cessé d’y revenir et de le feuilleter avec plaisir. Et c’est comme ça, quand on le picore sur la durée, qu’il s’apprécie le mieux.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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