JEAN RAY – Malpertuis

JEAN RAY – Malpertuis

Du fait de la prévalence culturelle des Anglo-Saxons depuis la seconde moitié du XXème siècle, on l’oublie souvent. Pourtant, le roman fantastique francophone a une grande tradition. Edité en 1943, le Malpertuis de Jean Ray (le pseudonyme le plus connu du Belge Raymond Jean Marie de Kremer) est un classique dans cette veine. A l’occasion d’une réédition toute récente, ce statut nous est rappelé par le pape actuel de la fantasy à la française, Jean-Philippe Jaworski, qui en signe la préface.

Ce roman parle de la maison maudite dont il porte le nom, à travers les témoignages successifs de plusieurs narrateurs. Le plus long et le plus important de ces récits nous vient de Jean-Jacques Grandsire, le héros de ce drame, et l’une de ses victimes. Celui (spoiler alert) dont on découvrira qu’il est irrémédiablement lié à cette demeure maléfique, et qu’il ne pourra jamais lui échapper.

Le propriétaire de ce domaine sinistre, un certain Cassave, est l’oncle de Jean-Jacques. Il est aussi un vieillard riche, adepte des sciences occultes. Sur le point de mourir, il fait venir plusieurs héritiers possibles et, contre une rente confortable, il leur demande de vivre tous ensemble à Malpertuis, stipulant que le dernier individu (ou que le dernier couple) survivant héritera de sa fortune.

Mais rapidement, la maison dévoile ses maléfices. Elle est hantée par des êtres fantastiques qui s’agitent dans les combles ou qui s’ingénient à éteindre les lumières. Certains des légataires potentiels qui cohabitent pour l’occasion, ne semblent eux-mêmes pas tout à fait normaux. Et le jeune Jean-Jacques qui, en marge de ses aventures amoureuses avec de jolies pensionnaires, cherche à dénouer tout cela, se retrouve embarqué dans cette folie surnaturelle. Très vite, survient un déluge de phénomènes paranormaux et effrayants, puis le décès, l’un après l’autre, des hôtes de Malpertuis.

Les événements s’enchainent dans une ambiance fantasmagorique qui évoque la vieille littérature fantastique, ce roman gothique du XIXème siècle dont Jean Ray s’inspire. Nous sommes loin du fantastique actuel, celui qui suggère, qui ménage ses effets, qui joue avec parcimonie du surnaturel et qui prend patiemment le temps d’instiller la terreur dans la normalité d’une vie banale. Dans ce court roman qu’est Malpertuis, nous sommes très vite en plein cauchemar. Et celui-ci ne fait que s’amplifier, jusqu’à une nuit de noël terrible et fatidique, où s’affrontent anciennes et nouvelles croyances.

Le livre (attention, spoiler) fait part d’obsessions anciennes qui fleurent encore le XIXème siècle décadent et finissant, avec son mélange d’ésotérisme, de religiosité chrétienne et de passion antique. Le fond de l’histoire (je l’ai dit : spoiler), c’est que les dieux de la Grèce ancienne ont survécu au christianisme, bon an mal an, qu’ils marchent sur Terre (ou plus précisément dans Malpertuis), sous une forme dégradée, et que, déliés de l’emprise du Christianisme, ils déchainent ce qui leur reste de puissance. Mais c’est avec eux aussi que le roman prend une forme plus contemporaine.

Car si ce livre ne joue pas encore du fantastique réaliste auquel on s’est habitués, il n’est pas non plus que fantasmes, folies et irrationnel. Il y a bel et bien une intrigue, une enquête même, menée par Jean-Jacques, et dénouée par ses successeurs. L’histoire est parsemée d’indices, qui ne se dévoilent qu’à la fin. Par moments, Malpertuis est une partie de Cluedo géant, avec ses Colonel Moutarde et Madame Pervenche dont on doit deviner les desseins, ou le lien avec la mythologie grecque.

Malpertuis est une œuvre située entre deux temps. Ce livre n’est ni de l’ancienne époque, ni de la nôtre. Il est aussi de la littérature classique qui s’adonne avec classe à un mauvais genre. Souvent, il paraît rétro, daté et suranné, mais il l’est délicieusement. Et il est à (re)découvrir.

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The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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