JOEY VALENCE & BRAE – No Hands
Le rap est désormais, à son âge avancé, fait d’une concurrence de traditions diverses, il est composé d’une diversité de chapelles. Parmi ces diverses lignées, cependant, celle issue des Beastie Boys n’est pas la plus visible. A force de fricoter avec d’autres musiques, de rappeler avec leur ouverture sur d’autres styles qu’ils ont d’abord été des punks hardcore, et de séduire en premier lieu le circuit rock alternatif, ils sont presque sortis de la mémoire du rap. Quels rappeurs, en effet, se réclament de nos jours des trois garçons ? Lesquels les citent ? Peu d’entre eux, si ce n’est Joey Valence et Brae.
Joseph Bertolino et Braedan Lugue sont issus de State College, en Pennsylvanie. Soit de nulle part, sur la carte du rap. Aussi ont-ils créé leur genre à eux. Et leur matériau de base, intégralement ou presque, leur vient des trois garçons newyorkais. Ils revendiquent ouvertement leur influence. Et quand bien même ils ne le feraient pas, il leur serait difficile de dissimuler leurs sources.
Revoici, en effet, de jeunes blancs qui nous jouent un numéro de sales gosses braillards, avec autant de tapage que de dégaine saugrenue et d’humour potache (la pochette en est le témoin). Revoilà des rappeurs qui exploitent les sons agressifs de guitares rock (« Punk Tactics », s’intitulait le single de la révélation en 2023), et les formes en vigueur dans le hip-hop du dernier siècle : jazz rap et scratches à la mode des années 90 délivré avec Z-Trip sur « No Hands », électro hip-hop sur le redoutable « The Baddest », quasi old school sur « Ok » et boom bap à sample plus académique sur « Omnitrix ».
Tout comme au bon vieux temps des Beasties et de Run-D.M.C., c’est du hip-hop tout aussi bruyant que ludique, où l’on aime rapper en chœur et terminer la phrase de l’autre. Mais nous sommes tout de même quarante ans après Licensed To Ill, et la formule de Joey Valence et de Brae ne pouvait pas être exactement la même. Elle est une vision fantasmée et réinventée d’un temps, les années 80 et 90, où les deux hommes étaient à peine nés. Elle est une recette distincte de l’originale, qui parle de rappeurs plus récents (Baby Keem, par exemple) et qui a été exposée à l’influence postérieure du crunk de Lil Jon et des rave parties.
C’est du Beastie Boys, mais avec de nouveaux éléments. Comme si leur musique touche-à-tout et leurs allures de hooligans avinés ne suffisaient pas à plaire aux Anglais, les deux Américains y ajoutent de la drum’n’bass sur « Bussit », de la house sur « What U Need », de la techno cyberpunk sauvage à la Prodigy sur « Like A Punk » et d’autres moments très club comme « Where U From ». Brae et Joey Valence invitent aussi le plus fantasque du rappeur qui ne plait pas qu’aux rappeurs, Danny Brown, sur « Packapunch ». Et avec leur grande passion pour les jeux vidéo et leurs références à John Cena ou à Han Solo, leur registre est encore plus nerdy que celui des trois esthètes facétieux de New-York.
Joey Valence et Brae s’inscrivent dans une tradition délimitée, mais ils la réinventent, ils lui offrent une suite, ils lui apportent une alternative. Et cette tradition, plus large que celle de Beastie Boys en vérité, c’est celle qui conçoit le rap comme un divertissement. C’est celle qui s’emploie à faire bouger les foules sans jamais se prendre au sérieux.