KENDRICK LAMAR – GNX

KENDRICK LAMAR – GNX

Kendrick est conscient de ses limites. Sinon, pourquoi nous aurait-il fait le coup à deux reprises ? Pourquoi, après avoir délivré l’un de ses albums les plus ambitieux, l’un des plus chargés, des plus compliqués et des plus durs à avaler, s’emploierait-il par deux fois à sortir l’un de ses plus digestes ?

C’est ce qu’il s’est passé deux ans après son monumental To Pimp A Butterfly de 2015, quand il a délivré un DAMN. franchement plus dépouillé et immédiat. Et c’est aussi ce qu’il nous a offert quand, au colossal Mr. Morale & the Big Steppers, a succédé GNX. Cet album surprise est plus direct, plus court. Ses compositions sont plus simples. Elles sont parfois même de simples boucles comme sur « tv off », un single produit entre autres par DJ Mustard. Elles peuvent être excessivement minimalistes, comme avec les cinq notes quasiment uniques du morceau-titre, un posse cut.

Mais cette sortie arrive avec un timing encore plus marquant. En 2017, on pensait sans doute déjà que DAMN. intervenait au faîte de la gloire du prodige californien, qu’il apparaissait au sommet de sa carrière. Mais en vérité, on n’avait encore rien vu. GNX, lui, surgit alors que le rap, en 2024, ne se résume plus qu’à ce long beef à l’issue duquel Kendrick a anéanti Drake. Du « Like That » de Future, le morceau qui a lancé la guerre, à cet hallali qu’a été « Not Like Us » (et si l’on va au-delà, jusqu’à sa prestation triomphale au Super Bowl), il n’est resté que lui. Et GNX est son tour d’honneur.

C’est une voiture, d’ailleurs, la Buick Grand National Experimental, qui y est mise en avant. Et c’est aussi et surtout Kendrick lui-même, sur ce premier album pour son propre label marqué par les souvenirs de ses débuts dans l’industrie (« heart pt. 6 »), clos par une histoire d’amour avec son propre talent (le très joli « gloria »), appuyé par toute une bande de proches issus comme lui de la Californie du Sud, et dont la seule vraie star présente est son ex-compagne de label, SZA.

C’est aussi un retour à sa base californienne, comme le signifie le single « squabble up » avec son titre issu de l’argot local et un son qui rappelle les racines funky et electro du son West Coast. Kendrick rend encore plus directement hommage à sa ville sur le médiocre « dodger blue ». L’intervention à trois reprises de Deyra Barrera va aussi dans ce sens, la chanteuse mariachi représentant cette culture mexicaine qui imprègne fortement la terre californienne.

Fuck a double entendre
I want y’all to feel this shit

Baise le double-sens
Je veux que vous ressentiez cette merde

Finis aussi les détours et les circonvolutions. Les grands thèmes et les considérations d’adulte qu’il apprécie ne sont jamais bien loin. Néanmoins, Kendrick prend bien soin à ne plus être ce lauréat du prix Pulitzer qui s’interroge pendant plus d’une heure sur sa communauté, sur sa famille et sur la marche du monde. Il renoue avec le fondement du rap : les vantardises, la prétention.

Tell ’em Kendrick did it
Ayy, who showed you how to run a blitz?
Tell ’em Kendrick did it,
Who put the West back in front of shi

Dis-leur que Kendrick l’a fait
Ah, qui t’a montré comment mener un blitz ?
Dis-leur que Kendrick l’a fait
Qui a remis l’Ouest devant ?

Toujours d’humeur mesquine à l’issue de cette année de feud, Kendrick s’attaque aux stars des années 90 (Snoop Dogg) et 2000 (Lil Wayne) sur « wacced out murals », après avoir laminé celle de la décennie 2010 (Drake). Il claironne gaillardement qu’il mérite tout ce qui lui arrive et qu’il est le plus grand de tous les temps sur « man at the garden ». Il se présente comme la réincarnation de John Lee Hooker et de Billie Holiday sur « reincarnated », dialoguant avec le bon Dieu au passage et, bien sûr, faisant un clin d’œil à 2Pac (vous pouvez pas nous foutre la paix une fois pour toutes avec celui-là ?).

Bref, GNX est un triomphe, c’est une célébration. D’autant plus qu’il est, comme tous ses autres albums, aussi exaspérant que globalement réussi. Jouez hautbois, résonnez musettes, laissez place au divin enfant. Il ne doit rester que lui. Et pour un peu, cela nous dégouterait complètement du rap. 

Acheter cet album

The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *