MATTHEW GASTEIER – Illmatic

MATTHEW GASTEIER – Illmatic

Au tout début, on est un peu inquiet. Un auteur qui prend soin de s’excuser d’être Blanc avant de s’attaquer à l’analyse d’un classique du rap… Un livre au plan très conceptuel, où chaque chapitre se voit titré par deux antonymes placés en vis-à-vis… Mouais. Et puis, finalement, passé l’introduction, on se prend au jeu, on se plonge avec plaisir dans cet ouvrage dédié à Illmatic. Il s’avère être, au bout du compte, l’un des mieux fichus parmi ceux parus à ce jour dans la collection 33 1/3.

Pour une fois dans cette série, l’auteur ne dévie pas de son sujet. Les cent et quelques pages de ce volume sont bel et bien dédiées à l’album. Pas de blablas sur la biographie de l’auteur, pas de digression sur l’Histoire du rap, de la musique, de la société américaine, ou je ne sais quoi. Si on nous explique d’où vient Nas, Queensbridge en l’occurrence, comment il a fait ses armes auprès de Main Source, et à quel moment de l’épopée hip-hop est sorti ce disque, ce n’est pas à des fins de remplissage. Ce n’est là qu’à bon escient, pour éclairer l’analyse que Gasteier livre de Illmatic.

Et cette analyse, à la fois probante et personnelle, semble vouée à répondre à une seule question, la seule qui vaille : pourquoi ? Pourquoi cet album est-il un classique ? Pourquoi a-t-il atteint un tel niveau de reconnaissance publique et critique ? Pourquoi cet impact ? Que recèle-t-il, que dit-il ? A cela, Gasteier répond par une thèse, jamais explicitée, mais évidente à la lecture des titres des chapitres : sous son apparente sobriété, Illmatic est un échafaudage complexe, il concilie adroitement les contraires qui, au-delà de lui-même, travaillent le rap tout entier. Il en est la synthèse.

Le premier album de Nas s’inscrit dans la tradition, il marque la fin d’une ère, celle d’un classic rap new-yorkais pas encore soumis au bling-bling, mais il y introduit aussi des innovations qui perdureront, il devient le mètre-étalon de toute production future. Il est l’œuvre d’un jeune homme de vingt ans, mais qui a une expérience déjà longue du rap, qui se positionne en sage de la rue. Il est obsédé par la mort, mais il est guidé par une volonté de survie. Il concilie le pessimisme et l’espoir. S’y mêlent la fiction, l’escapisme, et les dures réalités du ghetto. Il est à la fois le fruit d’un travail personnel (celle du rappeur lui-même) et une œuvre collective (la dream team de producteurs qui l’accompagnent). Et ainsi de suite…

Enfin, last but not leastIllmatic est alors autant une chance qu’une malédiction pour son auteur : une chance, car il le propulse d’emblée tout en haut du panthéon hip-hop (Illmatic fut le premier album à recevoir la notation maximale dans le magazine The Source) ; une malédiction car toute sa carrière durant, Nas sera jugé à l’aune de ce disque référence. Après avoir commencé aussi haut, il ne pourra plus que chuter, décevoir, être contesté ou qualifié de vendu.

L’exposé aurait pu se perdre dans cette série très conceptuelles de thèses et d’antithèses. Et pourtant non. La plupart des points sont convaincants. Qui plus est, l’auteur s’est documenté, allant puiser à la source les témoignages des principaux instigateurs de l’album, les beatmakers qui l’ont produit (DJ Premier, Pete Rock, Q-Tip… seul Large Professor a manqué à l’appel), le seul autre rappeur à s’y être exprimé (AZ), ainsi que MC Serch, l’instigateur, le travailleur de l’ombre.

Alors que manque-t-il à Illmatic, le livre ? Le fait d’être unanimement enthousiaste, de n’identifier absolument aucun défaut à ce disque si célébré, et pourtant perméable, comme tous, à la critique ? De ne voir dans les dix titres du premier Nas qu’une perfection ultime et absolue ? Oui, sans doute. Mais qui pourrait le lui reprocher ? Dès le début, Gasteier prend le parti d’être subjectif, de retracer son expérience. Cela a été la bonne approche, cela a permis à son livre d’être l’un des plus réussis et des mieux fichus de la collection 33 1/3. Et par chance, c’est tombé sur l’un des rares disques de rap qu’à ce jour elle a traités.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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