FLAGBOY GIZ – I Got Indian In My Family

Comprendre le rap du Sud, l’apprécier même parfois, c’est en connaître les racines. C’est savoir, en tout cas pour celui qui est originaire des places-fortes de Louisiane, La Nouvelle-Orléans et Baton Rouge, qu’une partie de son identité provient de la musique des carnavals. Qu’après avoir fortement irrigué le funk local, celui par exemple des Meters, celle-ci a abreuvé le rap de l’endroit. Pour le réaliser, il suffit d’écouter la musique festive, joyeuse et animée de Mannie Fresh et de ses disciples.
Et tiens d’ailleurs, en 2022, ce même Mannie Fresh s’est impliqué dans la production du deuxième album de Flagboy Giz, un homme issu du monde de Mardi Gras. Ce dernier, en effet, est membre des Wild Tchoupitoulas Black Masking Indians, une tribu d’animateurs de carnaval de la Nouvelle-Orléans, dont la particularité est de s’attifer à la manière d’Amérindiens, avec les plumes et tout l’attirail, une tradition ancienne des Afro-américains du cru, qui ont trouvé dans les façons des indigènes, ces autres grands opprimés du sol américain, un écho ou une échappatoire à leurs propres turpitudes.
En 1976, cette assemblée avait déjà célébré la musique de La Nouvelle-Orléans avec un album où participaient les Neville Brothers et les Meters. Elle avait alors épousé l’ère du funk, sans accroc. Et au vingt-et-unième siècle, elle se montre toujours à la page, en s’appropriant cette fois le rap. Aaron Hartley est la personne qui s’en charge. Il est le « Flagboy » des Wild Tchoupitoulas, l’un de ses principaux acteurs avec le « Big Chief » et le « Spyboy ». Or ce bon à tout faire (il a contribué aussi aux costumes du second Black Panther) sait rapper. En 2022, I Got Indian In My Family est son second album, après Flagboy Of The Nation. Et porté par le tube « We Outside », il est son moment de gloire.
Ici, les instruments sont ceux du carnaval, cuivres scintillants organiques, voire synthétiques (« Mardi Gras »), percussions entrainantes et tambourinantes. Il y a aussi de la guitare sur le mélodique « Early That Morning » et sur le conclusif « Mask That Morning », entre autres. Le tout est accompagné parfois par les cris et les interjections de la foule. Et le style vocal, entre rap chantonné et chant saccadé, rappelle celui de Mouse On Tha Track, quand il est passé de la production au rap.
C’est la musique de Mardi Gras faite pour rythmer une longue marche à travers la ville, de « Uptown » à « Downtown ». Cependant, et même si Flagboi Giz s’interdit jurons et obscénités, c’est aussi du rap, avec l’arrière-plan ghetto, la violence, le goût pour le clinquant et l’exaltation du quartier qui le caractérisent. On retrouve aussi le call-and-response, les chœurs (« Rocheblave », « Mask That Morning ») et les rythmes appuyés que les Afro-américains et les Amérindiens ont en partage. Ces deux peuples ont en commun une rancœur envers l’Amérikkke, et celle-ci s’exprime aussi, sur cette pochette où Flagboy Giz incendie sa coiffe d’Indien aux couleurs de la bannière états-unienne.
En vérité, sur cet album réussi, le membre de Wild Tchoupitoulas ne fait que rendre plus apparent tout ce que le rap local doit aux pratiques populaires les plus profondément enracinées dans le sol de Louisiane. Il rappelle que tout cela, la bounce music, le carnaval, la musique agitée, excessive et colorée de Mardi Gras, des Meters et de No Limit, n’est toujours qu’une seule et même tradition. Alors ne vous étonnez pas si tout cela, pour paraphraser un morceau, is « Looking Like Cash Money ».
PS : merci à Pure Baking Soda grâce auquel, je crois, j’ai dû entendre parler pour la première fois de Flagboy Giz. Et si ce n’est pas par lui, merci quand même, pour les autres découvertes qu’on lui doit.