SKRILLA – Zombie Love Kensington Paradise

SKRILLA – Zombie Love Kensington Paradise

Kensington, dans l’agglomération de Philadelphie, n’est pas un lieu hospitalier. Dans cette zone urbaine désindustrialisée, on trouve des maisons délabrées, un marché de la drogue à ciel ouvert et une concentration exceptionnelle de sans-abris qui èrent dans les rues comme des zombis. C’est un endroit abandonné par les services publics, dont le dernier salut (ou plutôt le coup de grâce) passe par une timide gentrification.

Kensington, donc, est un enfer sur Terre. Et les endroits pareils, on le sait, sont un terreau fertile pour le rap. Cela s’est vérifié une fois de plus avec l’un des hommes du moment. 2024, en effet, a été l’année de Skrilla. Celle des singles « GOD DAMN » et « Blahdahdahdahdah ». Celle d’un succès, deux ans après la mixtape de la révélation Kutthroat, facilité par une signature chez Priority Records. Celle du premier album officiel, Underworld. Celle, mieux encore, de son successeur Zombie Love Kensington Paradise, sorti en novembre et qui vient tout juste de reparaitre en version deluxe.

Le rap de Jemille Edwards est tel qu’on l’imagine, compte-tenu de son lieu de naissance : il est infernal. Il se présente comme un énième dérivé de l’âpre drill music, auquel s’ajoutent les pulsations électriques et les cloches sinistres du son de Detroit (Skrilla collabore avec Baby Smoove sur ce dernier album), et une pincée de brutalité mélancolique à la Kodak Black (samplé longuement sur la chanson d’amour gangster « F.W.A.G. »).

Avec ce rap de rue abrupt et anxiogène, Skrilla nous fait découvrir son « Chiraq » à lui. Sur une musique lente, spectrale et gothique, parfois même langoureuse comme avec la mélodie chinoise de « Ocean Prime », il nous dépeint une jungle urbaine dont les seules lumières sont ses partenaires sexuelles et les marques de luxe qu’il cite à n’en plus finir. Le rappeur nous transporte dans ce que, pour les raisons évoquées plus haut, il appelle Zombieland,. Il nous emmène dans un endroit de violence et de mort, hanté par les orishas de la Santeria, ce dérivé cubain du catholicisme imprégné de croyances africaines et dont ce demi-latino (sa mère est d’origine mexicaine) est un adepte.

Et de sa voix rapeuse, avec une diction souvent surarticulée, Skrilla rappe. A la mode de son temps, certes, mais pour du bon. Hormis sur ce « Circle » où il passe le micro à ffawty, il monologue, il déblatère, il délivre tout d’un seul tenant, couplets comme refrain, mais avec des trouvailles dans son flow, avec des pauses, des répétitions ou des intonations aussi inattendues que justes. Ses musiques tristes et dépouillées, il les habite de sa seule voix sur les perles « Matte Black », « Rolling », « Wockhardt Zombie », et bien sûr, sur le minimaliste et le fantastique « Blahdahdahdahdah ».

Son phrasé, il le module, il le soumet à plusieurs gymnastiques, jusqu’aux chantonnement de « Somehow », le joli chagrin d’amour qui termine Zombie Love Kensington Paradise, le titre qui clôt cet album qui finit d’installer Skrilla parmi les rappeurs qui comptent, en ce milieu des années 2020.

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The Notorious S.Y.L.V.

The Notorious S.Y.L.V., a.k.a. Codotusylv, écrit sur le rap et tout un tas d'autres choses depuis la fin des années 90. Il fut le fondateur des sites culte Nu Skool et Hip-Hop Section, et un membre historique du webzine POPnews. Il a écrit quatre livres sur le rap (dont deux réédités en version enrichie), chez Le Mot et le Reste.

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