Tout au long des années 2000, et après encore, une poignée de gens issus du même lieu de Virginie ont dominé la production musicale américaine. Ni Timbaland, ni Chad Hugo et Pharrell Williams des Neptunes, n'ont été les premiers à devenir de tels pontes de la pop. Mais ces trois-là ont eu pour particularité de venir, plus ou moins, de la scène hip-hop. Ils ont activement œuvré à son triomphe, tout autant qu'à son métissage. Et c'est à eux que Maxime Delcourt, auteur de plusieurs livres aux sujets très divers (sur 2Pac, la chanson expérimentale, le free jazz) chez Le Mot et le Reste, a cherché à rendre hommage en retraçant leur parcours.

MAXIME DELCOURT - The Neptunes & Timbaland

Resituons les choses. A la fin de la décennie 90, le rap sort de sa phase classique, des années fabuleuses où il est devenu la musique la plus populaire d'Amérique (et bientôt du monde entier), et où il s'est affirmé en tant que genre en soi, avec ses codes, ses valeurs et son esthétique propres, distincts de tout autre. Mais alors, on chemine vers une autre ère.

Même si d'autres pôles sont apparus comme Los Angeles, puis Atlanta ou La Nouvelle-Orléans, New-York demeure la capitale du hip-hop. Or, voilà des gens venus d'un lieu hors-radar. Pas le Nord, mais pas vraiment le Sud émergent. Pas une mégalopole, mais la ville modeste de Virginia Beach.

Voilà des gens, aussi, qui ne cherchent plus à défendre quelque purisme que ce soit. Ils ne se défient plus des musiques électroniques ou du rock, ces musiques concurrentes, ils ne vilipendent plus la pop et son pendant afro-américain, le R&B : bien au contraire, ils les embrassent à plein bouche. Les Neptunes vont faire du rock avec l'aventure N.E.R.D., Timbaland va se prendre de passion pour les sons techno/house. Et ils vont travailler avec tout le monde, absolument tout le monde : leurs comparses attitrés (Missy Elliott pour Timbaland, Clipse pour les Neptunes), les stars du rap (Jay-Z, Snoop Dogg, Ludacris, Kanye, Lil Wayne, Drake), mais aussi (et beaucoup) Justin Timberlake, Gwen Stefani, Madonna, Beyoncé, Britney Spears, Rihanna ou Daft Punk. Et on s'abstient de mentionner tous les autres.

Bref, ils sont incontournables, et il n'est pas rare, dans les premières années du nouveau siècle, de les voir placer plusieurs singles en têtes des charts, jusqu'au triomphe tardif de Pharrell au début de la décennie 2010 quand, avec "Get Lucky", "Blurred Lines" et "Happy", il figure sur trois des plus gros singles du moment. Les trois hommes sont comparables à tous ces musiciens importants, Les Beatles, Bowie, Björk ou Radiohead, qui ont réussi à être tout à la fois populaires et avant-gardistes, qui ont su expérimenter sans jamais renoncer à séduire. Ou plutôt, qui ont expérimenté précisément dans le but de mieux séduire. Ils ont été clé dans cette grande réhabilitation de la pop, qui a marqué les années 2000, et qui a donné tort à tous ceux qui croyaient ne plus trouver à manger qu'aux tréfonds de l'underground.

Pour raconter cet avènement, pour retracer le destin très contrasté de ces hommes (la gloire absolue pour Pharrell, la discrétion pour Chad Hugo, le déclin pour Timbaland), Maxime Delcourt adopte une approche originale. Son livre suit une trame chronologique, plus ou moins, quand il nous raconte le destin croisé de ces producteurs (et chanteurs, et rappeurs, puisque décidément, ce sont des touche-à-tout), mais chacun de ses chapitres se focalise sur une collaboration particulière avec un artiste, ou sur les aventures solos ou collectives des trois hommes. L'un se concentre sur le travail de Timbaland avec Bubba Sparxxx, un autre sur son association à Justin Timberlake, et un autre encore sur le projet N.E.R.D, des Neptunes et du troisième larron, Shay Haley. De cette façon, c'est presque toute l'histoire de la musique américaine (et plus) des années 2000 qui défile.

Et à la fin de ces longs zooms, s'ajoutent le commentaire détaillé de deux ou trois titres produits par eux, à chaque fois ou presque un des Neptunes, et un de Timbaland. Pas nécessairement des tubes, pas toujours des réussites, mais des raps ou des chansons qui témoignent de l'évolution, de l'innovation, des tentatives et du renouvellement de ces artistes.

Car ce qui intéresse Maxime Delcourt, au-delà des parcours de ces gens, c'est le but ultime de tout cela : la musique. Le sous-titre de ce livre, c'est "les beatmakers qui ont révolutionné la pop". Et c'est cela qui, en premier lieu, passionne l'auteur : les techniques, les formes et les sons qu'ont imposé ces producteurs ; les changements décisifs qu'ils ont apporté à la façon de produire et de diffuser la musique populaire.

Il y a longtemps, ici, on s'était inquiété des deux écueils qui menacent la littérature sur le hip-hop : le sensationnalisme, qui s'intéresse avant tout aux frasques des rappeurs et aux anecdotes sur leurs vies, et le tout politique, qui conduit à survaloriser une dimension (certes importante) de ce genre au détriment de toute autre. Sans jamais omettre le reste (une approche purement analytique et artistique est un autre péril), on avait alors préconisé de parler de l'essentiel : l'esthétique. Or, avec Maxime Delcourt, nous y sommes.

Acheter ce livre