On aurait pu redouter que Kevin Gates nous fasse un Gucci Mane. Que, sorti de prison, il nous revienne musclé, rayonnant, en bonne santé, mais que son art ne soit plus que l'ombre de ce qu'il avait été. Ces craintes ont été nourries quand il a manifesté un intérêt prononcé pour sa forme physique et que, tout récemment, il s'est confié dans le magazine Men’s Health sur son régime sain à base de mangues.

KEVIN GATES - I'm Him

La face gentille de Kavin Gates, d'ailleurs, est très visible sur son second album officiel, I'm Him. Même si ses titres sont souvent plus trash qu'ils en ont l'air, il est depuis longtemps un rappeur sensible, et ça fait un moment qu'il pousse la chansonnette. Ce sont les marques de fabrique du rappeur, ce à quoi il excelle. Mais cette fois, les mélodies sont plus présentes que jamais, et ses sentiments débordent quand, en fin d'album, il crie tout son amour pour sa femme et sa fille.

Kevin Gates, toutefois, n'est pas Gucci Mane. Il n'a pas été libéré, sous les acclamations de ses héritiers, pour récolter enfin les fruits de son succès. En 2019, il n'est plus attendu comme le messie. Au contraire, son heure de gloire est maintenant derrière lui. Il l'a connue en 2016, quand est sorti son premier album, Islah, après une série fantastique de grandes mixtapes, et qu'il s'est écoulé au-delà du million d'exemplaires. Dorénavant, malgré des résultats commerciaux toujours très honorables, il n'est plus au centre de l'attention médiatique. De plus, autre différence de poids avec Gucci Mane, Kevin Gates, lui, est toujours aussi pertinent.

Sur I'm Him, certes, il n'invente plus grand chose. Comme toujours, il consacre une bonne moitié de son temps à nous détailler sa vie de bandit, usant à l'occasion de bravades et de rodomontades, comme sur "RBS Intro", s'invitant à se dépasser sur le single "Push It". Après tout, le "him" du titre ne signifie-t-il pas "his imperial majesty", sa majesté impériale ?

Et quand le rappeur nous parle de ses relations avec les femmes, c'est l'amour physique qu'il privilégie, comme sur l'ardent "Face Down", sur "Pretend" et sur le minimaliste "What I Like”. Il va jusqu'à mépriser ses compagnes sur "Let It Go", déclarant leur préférer la fille blanche (la cocaïne).

Sur l'autre moitié de l'album, Kevin Gates, schizophrène, nous ouvre son cœur. Il décrit les femmes comme des ensorceleuses sur "Fatal Attraction" et il leur chante la sérénade sur "Say It Twice". Il rend un hommage à sa femme Dreka, sur "Funny For You", puis de manière plus appuyée encore sur "Fly Again". Et il déclare sa flamme à sa fille Islah, sur ce "Betta For You" nourri par l'angoisse d'être un mauvais père.

Souvent, l'assurance du rappeur en prend un coup. Il est à cheval sur les deux registres, le rude et le sentimental, quand il évoque les trahisons de la rue sur "Have You Ever", ou quand il se lance dans une explication psychanalytique de sa nature froide et violente sur "Icebox" et "Walls Talking".

Kevin Gates déroule sa formule. Il le fait de manière sobre, condensée, ascétique, sans s'embarrasser des collaborateurs et de l'éclectisme qui caractérisent souvent les albums grand public. De toute façon, ses changements de ton, de voix et de phrasé suffisent à la diversité de I'm Him. Il les opère avec pertinence, naturel, de manière adéquate et jamais forcée, sur dix-sept titres concis de deux à trois minutes, rarement plus, sans aucun interlude, avec peu de tubes, mais presque pas de remplissage. Et c'est précisément cela qui lui réussit.

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