La roue tourne vite dans le rap, et Chief Keef en est l'illustration. Il y a cinq ans, en 2012, le monde lui était promis. La sensation d'alors, c'était la drill music de Chicago, et le très jeune rappeur en était, sans conteste, le chef de file. Il avait été couvert par de nombreux médias et courtisé par autant de labels, et il allait sortir un album remarqué, Finally Rich. L'année suivante, il rejoignait le 1017 Brick Squad de Gucci Mane, et il intervenait sur le Yeezus de Kanye West, s'attirant à l'occasion les éloges de Lou Reed, excusez du peu. Mais après, patatras. Chief Keef fut embarqué dans des ennuis judiciaires sans fin, il fut débarqué de chez Interscope, il prit parfois un virage expérimental pas compris de tous, il quitta Chicago, il annonça vouloir se retirer de la musique, et il passa l'année 2016 sans rien sortir.

CHIEF KEEF - Two Zero One Seven

2017, cependant, s'annonce différente. Le 1er janvier, il a sorti une mixtape à son nom. Et celle-ci, si l'on oublie un instant ses atours lo-fi et les écarts de volume entre les morceaux, s'avère redoutablement bonne. Chief Keef, on le sait, n'est pas un lyriciste. Mais il est bien mieux que cela : il est un musicien. Il a une vraie oreille, et elle lui permet, par exemple sur le mémorable "Fix That", d'agencer en un tout cohérent un ensemble surprenant de mélodies rappées-chantées et de propos plus tranchants. Il a perdu de sa hargne, et il se lance parfois dans de drôles de chants frêles, comme sur "Falling on the Floor". Même ses "bang bang" rituels paraissent mous et susurrés. Mais son ton fatigué, usé, vieilli (comme disait l'autre), n'est pas moins éloquent que ses agressions d'avant.

Chief Keef prend en main la majorité de la production (avec l'appoint du fidèle Young Chop, ainsi que d'une autre étoile sur le déclin, Lex Luger), et il n'invite presque personne à le seconder, à part Tadoe. Et pourtant, Two Zero One Seven est d'une grande diversité : artillerie trap pataude sur "Short", "Go" et le prenant "Stand Down", mélodie entêtante sur "So Tree", piano répétitif sur cet autre temps fort qu'est "Dope Smokes", et passages plus indolents. Le rappeur et producteur use d'une large palette. Il a aussi la bonne idée d'insérer, au beau milieu de la mixtape, à l'issue de la meilleure moitié du projet, un "Hit the Lotto" à contre-courant, interprété à l'Auto-Tune avec son seul autre invité, sa propre sœur Kash.

En deux zéro un sept, même s'il n'est plus au centre de l'attention, Chief Keef est pertinent comme jamais. Après une vingtaine d'albums et de mixtapes, un nombre aussi impressionnant de frasques, trois ou quatre enfants plus ou moins légitimes, et le début d'une passion pour la peinture, le rappeur parvient encore à sortir l'un des projets rap (déjà) les plus marquants de l'année. Ah : et il n'a encore que 21 ans. Il y en a, comme ça, dont la vie s'annonce bien remplie.

Télécharger la mixtape