Si l'on doit résumer à grands traits l'histoire du rap au début des années 2000, il faut citer au moins deux hommes, Cam'Ron et 50 Cent. Issus du rap de rue new-yorkais de la décennie précédente, tous deux ont su l'actualiser en s'appropriant certaines tendances venues du Sud : posture exacerbée de mauvais garçons et, parfois, recours à des mélodies, voire à des tonalités bounce. Ils ont aussi emmené avec eux de grands collectifs, respectivement les Diplomats et la G-Unit, qui ont conforté leur réputation par l'usage intensif des mixtapes. Ces deux là sont même en fait, à parts égales, aux origines de l'âge d'or de ce format musical.

THE DIPLOMATS - Diplomats Volume 1

Dipset :: 2002 :: télécharger la mixtape

La comparaison, toutefois, s'arrête là. Alors que pour 50 Cent, la mixtape a été un moyen de contourner une industrie musicale qui le considérait avec défiance, avec Cam'Ron, au contraire, elle secondait l'essor de sa carrière commerciale. Originaire de Harlem, Cameron Giles était déjà sur le bon chemin quand est sorti le premier volume d'une série de cinq projets, conçus avec ses amis de Dipset. Apparu dans l'entourage de Notorious B.I.G. un peu avant sa mort, il avait connu un premier succès en 2000 avec l'album S.D.E. (Sports Drugs & Entertainment), qui l'avait conduit chez Roc-A-Fella. Diplomats Volume 1 avait en fait pour objet d'accompagner la promotion de son premier single sur le label de Jay-Z, un "Oh Boy" dont le passage en radio n'allait pas de soi, son sujet étant le deal d'héroïne (en argot des rues, "boy" désigne cette drogue, tandis que "girl" signifie cocaïne).

Juelz Santana figurant sur ce titre et quelques autres, et Jim Jones (alors Jimmy Jones) étant aussi très présent, c'est sous le nom commun des Diplomats que cette mixtape allait sortir. Et quelques autres figures de Roc-A-Fella s'y pressaient aussi, comme Beanie Siegel et Memphis Bleek. Cependant, à ce stade, elle était essentiellement la chose de Cam'Ron. De nombreux morceaux étaient les siens et, sous le même titre ou sous un autre, beaucoup allaient se retrouver sur l'album à venir, Come Home With Me. C'était le cas de "Oh Boy", de "Ambitions of a Killa", de "Just Fire" et du morceau titre. Diplomats Volume 1 était en fait une version plus pure et plus brute de ce disque, dépouillée de ses enjolivements R&B. Mais bien sûr, il s'agissait plus d'un assermblage éclectique que d'une sortie peaufinée, puisqu'elle comptait aussi des titres rappés par d'autres, des freestyles, une intro qui enfilait les samples et des divagations déclamées sur les musiques des autres, la guitare de Carlos Santana sur "Maria, Maria", et le tube "Stan" d'Eminem.

Seul Cam'Ron s'exprimait sur ce dernier morceau, qui était une démonstration parfaite de son art. Il s'agissait d'un diss track, en réponse à un autre, que lui avait adressé son ancien ami Stan Spit. Le rappeur d'Harlem s'y montrait excellent de dureté, de cruauté et d'humour. Il y annihilait littéralement son adversaire, allant jusqu'à ironiser sur sa mère décédée, mais en respectant le ton du titre original, où Eminem s'adressait affectueusement à un fan perturbé. Ce faisant, il poussait à son comble le phrasé lent, doux et confondant de facilité qu'il avait adopté à la veille de connaître le succès. Ce flow caractéristique, on le retrouvait ailleurs, accompagné des propos les plus outrés et misogynes ("Bitches aint Shit"…), doublés d'un grand ressort comique et de beats souvent triomphants.

Ces beats, certains pourront les juger patauds, mais les fans préfèreront les qualifier de "patate", ce qu'on ne contestera pas à l'écoute de brûlots comme ce "Dial Me 4 Murder" à l'énergie rock, et de cette virée dans le quartier qu'est "Come Home with Me", avec Jim Jones et Juelz Santana. Il ne pouvait de toute façon pas en être autrement avec Cam'Ron et Dipset, représentants ultimes d'un style ghetto insolent et resplendissant, dont cette première mixtape était le manifeste.