Quand on parle de James Yancey, alias Jay Dee, alias J Dilla, il est généralement question d'injustice. Beaucoup regrettent que ce producteur, pourtant révéré par les plus illustres de ses pairs, Pharrell Williams des Neptunes, par exemple, n'ait jamais connu le succès qu'il aurait mérité, et que, atteint d'une maladie grave, il soit décédé trop tôt pour bénéficier d'une reconnaissance venue tardivement. Cet engouement critique, cependant, n'a lui-même pas toujours été si justifié.

J DILLA - Ruff Draft

Groove Attack / Stones Throw :: 2003 / 2007 :: acheter ce disque

J Dilla a fort bien entamé sa carrière, en côtoyant de grands noms du rap comme De La Soul, Q-Tip et Common, et en livrant quelques perles, par exemple le beat du magnifique "Runnin'" de The Pharcyde, et celui, non crédité, du joli "Got 'til it's Gone" de Janet Jackson. Mais ensuite, il n'a jamais vraiment légitimé sa cote auprès des puristes. A posteriori, on retient surtout de l'ennui de son travail avec Slum Village, et ses albums des années 2000, même celui conçu avec Madlib sous le nom de Jaylib, même le très célébré Donuts, ont un goût d'inachevé.

J Dilla, en fait, a offert ce qu'ils souhaitaient aux hipsters comme aux puristes hip-hop : un rap pas trop gangsta (quoique…), plutôt subtil et chaleureux, mu par une volonté de recherche et ouvert aux autres musiques, du jazz à cette techno qui provenait de la même ville que lui, Detroit. Et sa mort prématurée a amplifié son aura, en faisant une sorte de martyr, un 2Pac pour les intellos. Souvent, pourtant, ses disques se sont montrés surfaits. Sauf peut-être, ce bien nommé Ruff Draft.

A l'origine, cette sortie n'avait été qu'un EP, projet annexe distribué en vinyle par les Allemands du label Groove Attack. Cependant, parce qu'il était plus brut, plus lo-fi, plus viscéral que les autres, il est aujourd'hui plus marquant, surtout dans la version double et enrichie éditée de manière posthume par le label Stones Throw. Ruff Draft a en fait un triple mérite : sa concision, tout d'abord, ses 14 petits titres dépassant rarement les 3 minutes et se montrant d'un minimalisme éloquent, comme avec le synthétiseur de "Reckless Driving" ; ses sons, ensuite, parmi les plus bizarres produits par Jay Dee, comme les chants distordus de "Nothing Like This", un "Take Notice" de science-fiction et ce biscornu "Wild" qui recyclait du… Slade ; et, malgré tout, une tonalité hardcore, avec samples de M.O.P. inclus.

Clamées par le producteur lui-même, les paroles donnaient, en effet, dans un pur rap, tranchant, vénal, sale et libidineux, dès une introduction où il nous parlait de titres "pour les vrais négros", "sortis tout droit d'une putain de cassette". Il y annonçait des morceaux signés Jay-Dee, certes, mais sur ce disque, ils les offraient dans leur version la plus brute, la plus spontanée, plus éloignée de la complaisance et de l'expérimentalisme convenu de la plupart de ses autres sorties.