Connaissez-vous Jimmy Greek ? Cet homme, domicilié à Philadelphie, n'était dans la journée qu'un paisible facteur. Mais la nuit, il devenait le rappeur le plus maboul que la Terre ait compté, éructant un rap déglingué sur des beats à l'avenant concoctés par le producteur Rummage, membre comme lui du collectif Jam Faction. A l'époque, ces noms obscurs se sont noyés dans la profusion de sorties qui nous parvenaient de l'underground, et plus personne ne les connaît aujourd'hui. Pourtant sur toute la durée des années 2000, Greek a sorti des albums notables, dont le meilleur est peut-être tout simplement le premier.

GREEK - The Preferred Remedy

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Si le principe du rap, c'est d'être une grande gueule, alors Jimmy Greek l'a appliqué scrupuleusement sur The Preferred Remedy. Ses paroles étaient déclamées à tue-tête, par une voix perpétuellement au bord de la rupture. Vu de loin, ça ressemblait un peu à n'importe quoi, surtout après le simulacre d'interview d'une intro qui se finissait avec le refrain du "Physical" d'Olivia Newton-John… Mais peu à peu, se dessinait le portrait du personnage, une sorte de loser magnifique rap, un homme frustré par sa vie trop normale, mais qui n'avait pas peur de mordre. Un mâle castré, dont virilité était contrariée par l'attitude des femmes.

Ah, les femmes... Greek leur en voulait beaucoup. Elles le rendaient amer ("Bitter"), au point qu'il se venge d'une relation déçue en se faisant gigolo et en récupérant auprès de la femme d'un Sénateur l'argent de ses impôts ("Bitter Turned Escort"). Il partageait une vision pessimiste du mariage sur "Masculine", en même temps qu'il se moquait du machisme ordinaire. Ailleurs, décidément asocial, il se déclarait un nerd patenté ("Demented Nerd"), ou il faisait une croix sur ses amours au profit d'autres addictions : "mon meilleur ami est mon dictionnaire, vocabulaire est le nom de ma copine", déclamait-il ainsi, sur le titre "Different".

Après un "The Perfect Storm" assez sage avec sa boucle funky, les beats de Rummage se montraient du même tonneau que les paroles de son compère. Ca devenait abrupt avec le rythme heurté et le beat minimaliste d'un "Starstruck" qui rappelait Company Flow, et puis ça s'envolait haut avec la mélodie démantibulée façon film d'horreur de "Run The Gamit", ses bruitages de science-fiction et son scratch final furieux, le tout agrémenté des cris de fou dingue du rappeur.

Et après, c'était le déluge, avec les basses du délicieusement bancal "Bitter", l'intro hair metal de "2 Sponges and a Can of Comet", tout à coup interrompue par du pur boom bap, avant qu'on ne retrouve du Co-Flow ("Population Control" était samplé à deux reprises, sur "Different" et sur "Mealticket"), d'autres instrus d'une aridité totale ("Bait + Tackle", "Bitter Turned Escort"), des sons d'outre-espace ("Root Canal"), des nappes de synthé augmentées du brouhaha de quelque foule sur l'excellent "Demented Nerd", puis des violons malsains sur "Masculine".

Sur certains titres, "Different", "Root Canal", Greek affirmait sa singularité, s'en prenant aux rappeurs à deux balles. Il se moquait aussi des routines du rap, de cette soi-disant attitude qui n'est souvent que cliché. Lui, au contraire, avec les sons biscornus de Rummage, donnait raison à ces mots d'El-P qu'il avait incorporés à son magma sonore : "je ne cherche pas à être différent, je le suis".

PS : une dédicace à Fabrice, qui saura pourquoi.