Free Party est le second livre de Guillaume Kosmicki chez Le Mot et le Reste, et sa thématique est proche du précédent. Le format, toutefois, est différent. Après nous avoir présenté l’histoire des musiques électroniques en un très large panorama, l’auteur a pris sa loupe et s’est intéressé plus en détail à l’une de ses manifestations les plus notables, la free party. Aussi, dépassant sa démarche de musicologue, il s’intéresse à tous les aspects de ce mouvement, sociaux, légaux, politiques, esthétiques, il se penche sur le vécu de ses principaux acteurs (oui, les vrais acteurs, et non les simples consommateurs), bien plus que sur leur musique.
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Surtout, plutôt que d’adopter le ton neutre de l’universitaire, Kosmicki conjugue ce nouvel ouvrage à la première personne, en faisant le très long recueil (600 pages, tout de même !) d’interviews d’activistes de la mouvance des free parties, de témoignages discrètement introduits par quelques éclairages, et accompagnés d’un lexique, d’une chronologie, d’une bibliographie et même d’un CD audio. De fait, respectueux des parcours individuels, conscient de la grande diversité qui a caractérisé les gens qui ont fait vivre les free parties en France et ailleurs, Kosmicki semble avoir renoncé à tirer de leurs dires des enseignements généraux. Il n’a pas voulu les trahir, il se présente, en fait, comme un simple témoin.
Il y a toutefois une logique dans l'agencement de tous ces propos. Ceux-ci sont regroupés en chapitres, lesquels traitent de tel ou tel thème, de tel ou tel sound system, de tel ou tel Teknival marquant. Et le tout est disposé dans un ordre chronologique, racontant ainsi une histoire en plusieurs épisodes : d’abord, l’élément déclencheur qu’a été l’arrivée en France de Spiral Tribe ; ensuite, les pionniers, l’underground, les premiers sound systems ; puis le succès et l’exposition médiatique, entrainant l’irruption des politiques dans le champ autrefois préservé des free parties ; surviennent alors les déceptions, les réactions désabusées et la nostalgie de ceux qui ont été à l’origine du mouvement ; avant que n'arrive la relève, la nouvelle génération, et que d'autres pistes soient explorées, comme les multisons, ou de grandes expéditions en dehors de l’Europe.
Et ce grand récit à plusieurs voix se laisse lire. Car même si, comme votre serviteur, on ne s’est intéressé que de très loin à toutes ces fêtes et tous ces teknivals qui ont fait bouger la France, l’Europe, le Monde, dans les quinze ou vingt dernières années, il est difficile de ne pas être intrigué par les expériences peu banales vécues par tous les gens que Kosmicki laisse s’exprimer. Ici ou là, on se passionne pour leurs galères (ces ennuis mécaniques, ces déboires avec les flics, les aléas de la précarité, ces maladies chopées en Afrique), comme pour leurs anecdotes savoureuses (ce curé en soutane haranguant les teufeurs au milieu d’une fête, ce teknival dans les steppes avec des cavaliers, des Hell’s Angels et des lutteurs mongols au beau milieu du dancefloor...). Bref, si nous avons tous d'inoubliables souvenirs de guerre, quand bien même nous avons préféré les fêtes de village aux free parties, ceux-là se montrent particulièrement truculents.
Et puis, même si l'auteur s’interdit de le faire, rien ne prive le lecteur de tirer ses propres conclusions sur ce qu’ont été les free parties à leur apogée. On peut le faire, par exemple, avec la grille de lecture que Simon Reynolds appliquait à la rave music, dans son fondamental Energy Flash. Le célèbre critique anglais y disait que tout était parti de l’ecstasy, que cette drogue (même si on peut apprécier les musiques électroniques sans la consommer), avait été l’élément déclencheur, qu’elle avait lancé un mouvement qui prendrait successivement des formes distinctes, à mesure qu’il conquérait d’autres pays, d’autres classes sociales, d’autres groupes… et que d’autres psychotropes venaient se mêler à tout cela.
En lisant Free Party, on situe mieux à quel moment de l’histoire de la techno, de la house et de leurs cousines, ces fêtes libres et champêtres ont pu surgir. Les interlocuteurs de Kosmicki le disent bien, ou tout du moins une bonne partie d’entre eux : ils n’ont pas été des pionniers des musiques électroniques. Il y eut d’abord l’univers des branchés et des clubs, premiers à s’intéresser à ces musiques nées dans les boites gay et black américaines. Ensuite, est venue la masse, avec le phénomène des raves sédentaires. Ceux qui allaient devenir travelers et balader leurs sound systems sur les routes n’y étaient pas encore impliqués. Certains même, avant de prendre la tête de cette troisième vague, observaient cela avec défiance. Ils étaient plutôt branchés punk et rock alternatif, voire hip-hop.
Les free parties, dans leur version française au moins, c’est la rencontre entre une certaine marginalité, celle des squats et des saltimbanques, et du mouvement rave. Ses acteurs avaient souvent été des hippies tardifs, puis des punks tardifs. Ce n’était plus l’univers des branchés et des danseurs bariolés, mais celui de la tekno qui tape fort, celui des gens piercés et habillés en kaki. Ce n’était plus des hédonistes apolitiques, mais des gens engagés dans la gauche alternative, dans l’écologie, ou bien des asociaux. Ce n’était plus seulement le domaine de l'ecstasy, c’était aussi celui de la LSD, la drogue psychédélique par excellence, ou de la kétamine. C’était tout ça, plus la musique électronique, et plus le nomadisme.
Bien sûr, ces généralités n’excluent pas les exceptions. Les contre-exemples abondent, et les acteurs du mouvement étaient souvent les premiers à combattre les caricatures et les orthodoxies qui les menaçaient. Comme l’indique le sous-titre de Free Party, il n’y a pas qu’une histoire, mais des histoires, qui se croisent puis qui divergent, et qui gagnent à être connues, quand bien même on n’aurait jamais vu en tous ces gens qu’une bande de hippies new age crasseux arrivés bien après la pluie dans le grand bain des musiques électroniques. Car ce que Free Party raconte, au-delà des teknivals, des sound systems et de tout ce folklore qui appartient déjà à un temps révolu, c’est aussi la grandeur, les décadences et les métamorphoses que connaît fatalement tout mouvement musical d’importance.
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